4.5.2. L’affiliation groupale délinquante

Le second mode d’affiliation par l’acte délinquant est affiliation à un groupe transgressif.

F. Redl parlait d’attachement aux groupes délinquants par défaut d’individualisation, par perte d’"étayages moïques" 242 . Pour cet auteur, le groupe prend le relais du Surmoi individuel et vient en étayage au moi par un processus de "séduction magique". La "séduction magique" se grefferait sur l’identification à un leader, ou l’identification aux codes de la bande (rites initiatiques).

P. Givre réinterroge l’adéquation des pensées de F. Redl au contexte social d’aujourd’hui. Nous en discuterons plus loin.

Sept jeunes annoncent des affiliations à des bandes délinquantes.

Abdel déclare avoir été leader d’un groupe de petits délinquants de quartier au moment de la puberté. Son modus operandi est maintenant solitaire nous dit-il. La fratrie d’Abdel est hierarchisée. Elle est représentée dans une ambivalence entre violence et identification.

Michel emprunte une position de double ou d’objet partiel dans les actes délictueux, la main de l’autre. La fratrie n’est pas différenciée sur son graphique.

Mimoun a noué des relations très étroites avec un groupe qui a écumé la ville durant tout un été. Son appartenance à un groupe délinquant relève de l’illusion groupale fondée sur la marginalisation par rapport aux jeunes de son âge et à la société : nous et les autres. La fratrie n’est pas représentée.

Mounir a vécu un meurtre lors d’une rixe qui opposait deux bandes rivales. La fratrie, sur son schéma, est prise en étau entre parents et grands-parents.

René se dépeint dans une position de suiveur, manipulé par le groupe mais surtout peu différencié, avec une grande crainte de l’altérité. Il tente d’utiliser Lucile en miroir pendant les deux premiers entretiens. Il représente sa fratrie sur son arbre généalogique.

La fascination exercée par l’oncle de Salah, multirécidiviste, sur son neveu était à la hauteur de sa perversité.

Salah représente le groupe fraternel consanguin par ordre de naissance sur son dessin. En revanche la représentation des cousins adoptés est éclatée, clivée en bons et mauvais.

Smaël a été très tôt enrôlé par un chef de bande du quartier. La forclusion des enfants de la mère caractérise son rapport à la fraternité.

Nous percevons dans notre échantillon une tendance à des représentations d’un groupe fraternel tronqué, forclus ou confus.

L’appartenance à une bande organisée a un statut marginal au regard d’adhésions à des groupements éphémères autour d’actes délictueux ou d’objets d’addiction.

Cependant qu’en est-il au niveau de l’imaginaire ? Comment se dessine la fugacité de ces rapports groupaux ?

Nous faisons l’hypothèse que le groupe, éphémère, indifférencié, sans origine, surgissant de nulle part mais centré sur un objet d’addiction, produit licite ou illicite ou la violence, est utilisé comme réponse à une "urgence identificatoire 243 ".

Si nous suivons les théorisations de J-B. Chapelier, nous dirons que règnent pour ces jeunes des attachements à l’illusion groupale. Le groupe délinquant, aussi fugace soit-il, crée une enveloppe, procurant des limites moi/non-moi qui sont par ailleurs fragiles, perméables pour chacun des membres du groupe.

Le refuge dans ces groupes résout la création d’un semblable, la reproduction du même.

‘"Mais c’est toujours autour de l’un absolu qu’oscille la loi de composition du groupe. De ce point de vue, l’illusion groupale pourrait être l’illusion de l’Un, la co-incidence de tous les éléments, l’abolition imaginaire de la structure 244 "’

L’illusion groupale crée une enveloppe psychique et un imaginaire qui occupent une fonction spécifique dans le processus groupal et pour le sujet dans le groupe. Le groupe propose une unité à des parties fragmentées du Moi.

L’acte est à la fois le symptôme du groupe et son objet commun, ce qui le crée. L’acte pris dans le conglomérat du groupe éphémère demeure étranger à chacun. Il est projetté dans l’espace psychique groupal et non dans les espaces psychiques individuels.

L’impossible accès à la culpabilité pour Salah actuellement participe des prolongements de cette inclusion dans le groupe délinquant.

En réponse aux réserves de P. Givre, je pense que le groupe éphémère traite temporairement la question non pas du relais surmoïque mais de l’enveloppe du moi, d’unification de ses parties fragmentées, prise comme une urgence, autour d’un objet/objectif transitoire. La violence de l’objectif ou l’usage de substances psychoactives produisent les mêmes effets.

Dans l’affiliation groupale délinquante, peu de place est laissée à une future élaboration de l’acte et à une l’historicisation à partir de cet acte pour le sujet singulier lors de soins psychiques. L’acte se fond dans le groupe d’où chacun ne peut se différencier.

Les affiliations groupales délinquantes semblent être plus le fait de jeunes n’ayant pas de représentation d’une fratrie socialisante. Les autres, tels que Mario, Jean ou Adjib commettraient des actes délinquants affiliants.

Notes
242.

2002, p 75.

243.

D.Anzieu

244.

Kaës R, 1993b, p 213.