3. Les récits anticipatoires

L’adolescent se crée de nouvelles fictions, de nouveaux projets qui l’éloignent des projets parentaux. Les récits anticipatoires s’apparentent au projet identificatoire de P. Aulagnier et à la fiction anticipatrice de C. David.

Le projet identificatoire relie deux principes du fonctionnement identificatoire au cœur de la question adolescente : permanence et changement.

Pendant la petite enfance le porte-parole "a la charge de formuler des souhaits identificatoires qui concernent le futur de l’enfant…. L’enfant pose à la mère non seulement sa question sur l’origine mais aussi sa question sur son futur et sur les fins de ce futur" 252 .

De l’unique voix du porte-parole, l’enfant va s’identifier à une alliance, celle des idéaux parentaux, des projets maternel et paternel. Il établit un compromis entre les deux pôles identificatoires. Les parents sont cosignataires de ce compromis et procurent un étayage aux identifications de l’enfant en donnant les limites et les interdits.

Ce "processus d’identification englobe cet ensemble d’actes psychiques, permettant au Je de s’autoreprésenter comme le pôle stable des relations d’investissement qui composeront successivement sonespace, son capital et son monde relationnel" 253 .

A la sortie du monde de l’enfance, le devenir de l’adolescent est de porter seul son projet.

"Il devient le seul signataire et prend en charge la suite des négociations qui comportera sa relation entre lui et la réalité, entre ses désirs et ceux des autres, entre ce qu’il pense être et ses idéaux… Il faut donc que le compromis qui a assuré jusque là une coexistence, plus ou moins pacifique, entre le Je de l’enfant et son milieu familial, lui rende possible une même coexistence avec ce milieu extrafamilial et le compromis de ces autres qu’il va rencontrer. Un principe de permanence prend en charge la garantie de sa singularité : les premiers cosignataires du compromis lui ont transmis le droit à cette garantie identificatoire".’

Le passage d’un compromis familial à une position individuelle allègue de la capacité des parents à s’effacer devant ce changement de position. L’élaboration adolescente passe d’une situation de compromis à une "autofiction anticipatrice, alliage intime de composantes narcissiques secondaires et de pulsions objectales marquées des nouvelles quêtes objectalisantes animant cet âge… qui comme le roman familial cherche à réaliser un détachement à l’égard des parents et qui a beaucoup plus de chance d’y parvenir, à ce stade" 254 .

Le Je passe d’une histoire construite par l’autre, un couple d’autres à une histoire co-construite et enfin à une histoire subjectivée au sein du groupe social d’appartenance en adéquation avec l’Idéal du Moi de l’ensemble.

Le projet identificatoire est une construction permanente, nécessaire et vital. Il se fonde sur un déni de la mort, un déni normativant déclare Alexandra Trianfillidis. Le plus souvent l’individu refoule ce qui met en danger la cohérence de ce projet. Le Je du projet identificatoire est un Je advenu capable d’assumer l’épreuve de la castration.

‘"La castration peut se définir comme la découverte dans le registre identificatoire qu’on n’avait jamais occupé la place qu’on avait crue sienne et que, à l’opposé, on était sensé occuper une place à laquelle on ne pouvait pas encore être 255 ".’
Notes
252.

idem, p 24.

253.

1986, p 416.

254.

David C, 1998, Aimer, c’est croître, Adolescence, n°32.

255.

1975,p 198.