Chapitre III. Liens psychiques aux lieux institués 

Au siècle des Lumières, Rousseau développe l’idée d’un contrat social qui se matérialise par la mise en commun des offres et des compétences de chacun et par l’exigence de conformité aux lois sociales en contrepartie d’une garantie de sécurité. Jean-Jacques Rousseau prônait ainsi l’égalité, la parité et la liberté sous-tendue par un accord réciproque entre l‘individu et la société.

Depuis les années 80, des structures d’accueil dites " bas seuil " ont vu le jour : lieux d’accueil des adolescents "sur les quartiers", points de passage sur les chemins d’erre entre école et domicile, dans lesquels aucune activité n’est proposée, aucune médiation offerte, seuls la salle et les animateurs remplissent les fonctions de transitionnalité ou encore lieux d’accueil de SDF ou de toxicomanes, espaces palliatifs de survie à la vie sociale sans projet de soins ou de réintégration sociale. Ces lieux, moins exigeants sur l’adhésion aux réglementations communautaires, prennent le relais d’une société qui a moins d’attente à l’égard de leurs destinataires. L’accueil "bas seuil" impose un "contrat social bas seuil" qui ne reconnaît ni compétence, ni savoir-faire à ces usagers transitoires.

Qu’y a-t-il de similaire entre le contrat social et ces "boutiques" destinées aux désaffiliés ?

Fondés tous les deux par un imaginaire social 259 tel que l’entend C.Castoriadis, l’un se prévaut d’un contrat narcissique où se jouent et se rejouent toutes les rivalités, les amitiés et les haines de la fraternité et l’autre d’offrir une rencontre, manifestation sociale d’une préoccupation maternelle primaire.

Ce passage d’un contrat social rousseauiste aux enjeux complexes, d’un contrat narcissique dont la famille a reçu la délégation pendant le temps de l’enfance au "contrat social bas seuil" se répercute sur les représentants de ce contrat social, l’ensemble des institutions.

Ce chapitre, à l’image des institutions rompant le lien au groupe primaire, propose une scansion dans notre raisonnement, scansion provoquée par le passage de la temporalité à la spatialité, de l’interne à l’externe, de la famille au socius.

Nous avons étudié au long du chapitre précédent sous les deux registres, diachronique et synchronique les relations que les sujets de notre échantillon entretiennent avec leur institution primaire, leur filiation et leurs affiliations.

Nous introduisons maintenant l’espace dans sa qualité d’espace institutionnel et plus particulièrement celui de l’institution carcéral.

De la même manière que nous avons exploré les ramifications généalogiques comme autant d’offres à la socialisation de la psyché, nous allons parcourir les lieux institutionnels dans leur potentialité transitionnelle entre le Je et la culture.

Comment les institutions ont-elles été saisies par les sujets observés au cours du développement psychogénétique de l’enfance et de l’adolescence comme possible relais socialisant  dans ce double rapport de continuité et de conflictualité avec le groupe primaire ?

Les institutions ont-elles rempli un rôle de réparation, de support à la résilience ou d’affiliation ?

Existerait-il une spécificité dans la rencontre avec les institutions de placement ? Les adultes ayant vécu un placement pendant l’enfance ou l’adolescence présentent-il des particularités dans leur parcours de subjectivation, dans leur lien à l’autre, au groupe ou au socius ?

Notre seconde hypothèse interroge les rapports de la psyché aux institutions.

La distorsion de la "socialisation de la psyché 260 " se traduit plus particulièrement dans le rapport aux institutions en tant que lieu d’affiliation. Les institutions qui introduisent habituellement à l’imaginaire social, différenciateur des espaces intimes, "intermédiaires" et sociaux ou institués ne rempliraient pas cette fonction.

Une sous-hypothèse partielle interroge le parcours institutionnel des jeunes anciennement placés.

Alors que l’acte délinquant tente avec difficulté de créer de l’histoire, le placement en institution contrainte à symboliser placerait le sujet dans sa dimension historique et affective et pourrait, in fine, ouvrir à de possibles affiliations groupales, institutionnelles ou culturelles.

Notes
259.
" L’imaginaire est création incessante et essentiellement indéterminé (social- historique – psychique) de figures/ formes/ images, à partir desquelles seulement il peut être question de "quelque chose... Ce que nous appelons réalité et rationalité en sont des œuvres", 1975, p 7.
260.

terme emprunté à C Castoriadis : 1999, Figures du pensable, Paris, Seuil, p