Guide clinique

Mimoun, on s’en souvient, a dessiné un arbre généalogique sans fratrie, deux lignées d’enfant unique qui conduisent à une impasse généalogique. Mimoun vient d’avoir 18 ans, il a cumulé les incarcérations, allongeant peu à peu les temps de détention. Il pense que seule la parole peut le sauver et c’est en ce sens qu’il accepte la série d’entretiens.

Mimoun parle sans relâche pendant toute la durée des entrevues. Il raconte avec plaisir, pêle-mêle, ses aventures le plus souvent délictueuses. Ses histoires débutent tardivement à l’âge de 11 ans (premier placement non explicité) – 13 ans (second placement judiciaire). Il dit qu’il est sûrement plus mûr que les "autres", ces jeunes qui suivent une scolarité et une adolescence plus ordinaire. Il en a vécu des événements, à s’étourdir… pour ne pas rencontrer l’ennui qui bien sûr le guette parfois ! Il nous étourdit envahissant le bureau de son discours…

A l’énoncé de la consigne de la trajectoire spatiale, Mimoun réagit d’emblée : les lieux où il a habité ? La prison, les foyers… Première réponse du côté des institutions. Puis du côté de l’imaginaire : "une grande maison avec une piscine". Il débute son dessin en haut à gauche où il figure un immeuble, l’habitation familiale. Il souhaite alors indiquer une direction : "Je peux faire une flèche ?" Puis il se tait durant le temps de la réalisation de son dessin.

Ce dernier comporte trois maisons qui représentent les foyers où il a été placé. Devant la dernière, un Centre d’Education Renforcé, une piscine s’étend sur toute la longueur de la façade. Le centre du dessin est empli de flèches partant ou aboutissant à l’immeuble, lieu de séjour de la famille jusqu’à ce que, in fine, une flèche se boucle sur elle-même. Le bas de la page est laissé libre. Il réalise son dessin en silence dans un espace psychique partagé.

La prison est comme un zoo, dit-il, il est regardé comme un animal par des visiteurs.

Dans ce récit s’enchevêtrent trois lieux : l’espace projectif, la feuille, l’espace institutionnel de passation, la prison et l’espace psychique.

L’espace projectif est investi d’une construction spatiale particulière : des maisons sont dessinées sur les bordures en haut et à droite, un imbroglio de flèches emplit le centre de la page. La maison familiale centralise le départ et l’arrivée des flèches, du lieu des relations primaires aux lieux institutionnels. La dernière flèche se boucle à l’identique de l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue.

L’institution-prison est représentée avec force barreaux. L’environnement carcéral, la situation clinique évoquent le double jeu de regards : regarder/être regardé, activité/passivité, exhibitionnisme/voyeurisme. La métaphore du zoo indique à la fois la question de l’humain et de l’inhumain selon l’idée du moi de P-C. Racamier et l’intrusion du panopticon de Bentham qui supprime tout point aveugle.

Tout comme les animaux tournent en rond dans leur cage, Mimoun tourne en rond dans sa vie et son dessin nous laisse devant un cercle infernal… prédictions d’entrées et de sorties de prison.

La symbolisation s’appuie sur le regard et l’attention qui lui sont portés. Mimoun questionne la temporalité, sa circularité, l’ici et maintenant et sa capacité à penser.

Nous cheminerons au gré de ces derniers questionnements autour de trois points :

  • Des préliminaires théorico-cliniques rappellent quelques concepts théoriques sur l’institution, le rapport du sujet à l’institution et peignent le décor institutionnel ambiant.
  • La construction d’une trajectoire spatiale se centre sur l’utilisation de cette aire de jeu, d’un espace transitionnel de symbolisation.
  • Les liens aux lieux institués croisent l’impact du présent institutionnel, de l’actuel carcéral avecl’exploration des rapports aux institutions.