2. Le sujet dans et par l’institution

L’expression "liens institués" est empruntée à R. Kaës. Il en définit deux déterminations : "…celle du désir de ses sujets d’inscrire leur lien dans une durée et dans une certaine stabilité [et]… celle des formes sociales qui reconnaissent et soutiennent, de diverses manières (juridique, religieuse, culturelle, économique), l’institution de ce lien. Dans cette double conjonction s’imposent trois composantes du lien institué : l’alliance, la communauté de réalisation de but et la contrainte" 272 .

Au cours de notre développement, nous postulerons que tout lien avec les institutions, cité au cours de la recherche, est ou a été un lien institué quelle que soit la qualité de ce lien.

La psyché ne peut pas se vivre comme indépendante d’un réseau institutionnel.

J. Bleger pense que les institutions, "l’ensemble des normes, des règles et des activités regroupées autour des valeurs et des fonctions sociales" 273 sont "le noyau de base de l’identité".

Ce sont les représentations qui importent et leurs étayages, ce qui va apporter du sens. Il faut qu’il soit offert un sens incessant auquel l’individu puisse puiser son sens personnel et ses propres représentations. Dans le processus de désaffiliation (R. Castel), la perte progressive de sens provient des désengagements institutionnels successifs (l’école, les lieux d’hébergement...).

Les liens institués se fondent sur des alliances inconscientes dont nous avons déjà parlé : le contrat narcissique et le pacte dénégatif.

Ce modèle des alliances inconscientes propose au sujet des certitudes quant au passé avec comme corollaire, une croyance prévisionnelle.

Avec le contrat narcissique, selon C. Castoriadis, P. Aulagnier cherche à théoriser ce que la psyché attend de la société comme compensation à l’abandon de son " ultra-narcissisme monadique". "C’est cela le contrat narcissique : "Si tu te comportes de telle ou de telle manière, alors tu auras la reconnaissance des autres, tu seras investi par les autres, qui combleront la brèche narcissique ouverte par l’abandon de la toute–puissance originaire 274 ".

La "socialisation à la psyché" impose une séparation. La violence primaire de P. Aulagnier est le fait d’imposer une rupture à la monade psychique qui aura toujours tendance à s’enfermer sur elle-même. Cette rupture prévaut de l’être social. Le développement de l’enfant et la vie de tout individu est faite de ruptures consécutives de la monade psychique qui feront l’individu social.

Le pacte dénégatif prolonge la notion de contrat narcissique. Alors que le contrat narcissique associe le Je à une communauté d’idéaux, le pacte dénégatif comprend en outre les renoncements, les rejets, les refoulements. Ce pacte est silencieux, il demeure de l’ordre de l’inconscient. : "Le pacte lui–même est refoulé. Redoublement du silence : le prix du lien est ce dont il ne saurait être question entre ceux qu’il lie, dans leur intérêt mutuel, pour satisfaire à la double logique croisée du sujet singulier et de la chaîne" 275 .

Comme R. Kaës, C. Castoriadis affirme que la société, dans sa complexité, donne du sens à la structuration psychique "apporte avec ses significations la mise en sens qui satisfait le besoin impérieux de la psyché."

Le double processus de structuration psychique–socialisation rencontre celui de séparation–individuation et celui de subjectivation.

R. Kaës propose trois points d’articulation entre institution et fonctionnement psychique.

  • En mobilisant des fonctions et des processus psychiques, l’institution les canalise, les organise, les oriente. Ce faisant, "ces mobilisations ont un effet organisateur de la réalité psychique de/dans l’institution 276 ".
  • L’institution "accomplit des fonctions psychiques fondamentales (…) propose des objets partiellement désexualisés à la réalisation dérivée des buts pulsionnels et l’accomplissement partiellement réalisé des scénarios fantasmatiques" 277 . Les affiliations institutionnelles, outre le sentiment d’appartenance à un ensemble, soutiennent la continuité narcissique et l’idéal du moi.
  • Enfin, elle oblige à un travail de symbolisation, "travail psychique sur les formations et les processus psychiques concernés par leur maintien dans le lien institutionnel" 278 .

Les fonctions fondamentales de l’institution dans la psyché ne sont plus à démontrer. Elles s’inscrivent dans ce que Alain Caillé 279 , cité par P. Fustier 280 appelle la socialité secondaire.

La socialité secondaire "régit les sphères du politique et de l’économique, le monde de l’état moderne et de l’entreprise. Elle se situe sur le registre de "l’intermédiation" ce qui signifie qu’elle convoque moins les personnes que les rôles, les statuts ou les fonctions".

A contrario, la socialité primaire "régit un milieu de vie, toutes les fois que celui-ci tend à prendre la forme d’une communauté : famille, voisinage, quartier… c’est le lieu de "l’interconnaisance directe et concrète. Des personnes communiquent entre elles sans trop de filtres sociaux".

P. Fustier pense ces deux socialités en lien avec l’échange et le don. L’enfant passe d’une socialité primaire à une socialité secondaire où il repère que les relations en certains lieux et tout particulièrement dans les institutions sont régies par les rôles et les fonctions de chacun peu ou prou selon les fantasmes organisateurs de l’institution.

L’incessant travail de la psyché sur son rapport à la culture, au socius se concrétise dans ses liens aux lieux institués. V. de Gaulejac en livre quelques exemples dans Le coût de l’excellence sur les emplois dans les multinationales. Selon l’histoire de l’individu, ses fragilités narcissiques ou ses traumatismes, les alliances vont être nouées, aliénées ou distanciées.

Le présent du dispositif de recherche à l’intérieur d’une institution spécifique éclaire les présupposés théoriques que nous venons d’énoncer.

Notes
272.

1996, Souffrance et psychopathologies des liens institués, p 1.

273.

1987, p 56.

274.

1999

275.

Kaes René, 1987, p 33.

276.

id, p 20.

277.

1996, p20

278.

idem

279.

Caillé Alain, 1991, Nature du don archaïque, la revue du MAUSS, 12, p 51 – 79 & Postface au manifeste du MAUSS, 14, p 101 – 116.

280.

2000, p 10-11.