Mes intentions de recherche, orientées initialement vers les parcours de placement et leurs devenirs psychiques, m’obligeait à trouver-créer une médiation adéquate. J’avais imaginé un organigramme insitutionnel. Lorsque mon champ de recherche s’est élargi à l’ensemble des jeunes incarcérés, la médiation devait éviter une confrontation directe à l’abstraction de la question institutionnelle et permettre l’évocation d’institutions socioéducatives parmi d’autres lieux, les habitations familiales, les lieux de vacances ou les espaces imaginaires.
Le "concept" de trajectoire spatiale de M. Bonetti, médiation avec laquelle j’étais intervenue auprès de primoarrivants en France m’a paru pertinent.
La consigne retenue est la suivante :
‘" Je vous propose de dessiner une trajectoire spatiale. Vous représenterez sur un dessin trois types de lieux : ceux où vous avez habité de manière permanente, les lieux que vous avez occupés de manière transitoire et les lieux imaginaires qui ont eu de l’importance pour vous. Ce dessin doit représenter une trajectoire dans le temps du plus loin possible jusqu’à aujourd’hui. Vous notez des dates, les événements qui vous paraissent importants. Vous pouvez différencier les trois types de lieux en utilisant différentes couleurs" 283 .’Nous insistons sur la notion de trajectoire et la liberté d’organisation. Cette consigne conjugue spatialité et historicisation.
La trajectoire spatiale articule initialement deux lectures, sociologique et psychologique, de l’inscription sociale dans les espaces urbains et de l’investissement affectif de l’habitat au sein d’une démarche de sociologie clinique 284 .
Le regard du psychologue voit un terrain de jeu, un terrain d’aventure où le sujet expose dans un plaisir d’enfant retrouvé, plaisir anal vécu comme non dangereux, une succession d’espaces situés temporellement.
Le récit graphique comporte l’obligation de dessiner une trajectoire marqué par des évenements. Trajectoire et événements se complètent dans la construction du récit, les événements sont organisés en une sériation chronologique.
Deux point sont essentiels :
L’événement psychique s’inscrit dans le récit impliqué. Les événements psychiques depuis la petite enfance jusqu’au jour de la rencontre, les traces mnésiques issues de l’histoire du sujet se métaphorisent sous les ruptures de la trajectoire spatiale.
Par la suite, les entretiens ont mis en évidence la présence de l’institution actuelle, résultante de l’histoire passée et lieu des projections vers le futur dans et hors les murs.
La perception prend une grande importance dans l’appropriation du médiateur, en écho aux représentations familiales-perception que nous avons décrites au précédent chapitre. L’expérience perceptive s’étend ici du sol-feuille, selon le terme d’ Annie Anzieu, à l’espace du bureau, à l’institution carcérale :
‘"… l’identité de perception – retrouver la même perception mémorisée comme satisfaisante -, assure alors la continuité intérieure, celle du sol psychique. L’idée de sol nous paraît étayante, sol–feuille… : appui intérieur fondateur sur lequel vont s’effectuer les inscriptions. Ce sol intérieur est tissé de rythmes, d’allers–retours, de trames, comme un tissage de liens… 285 "’Des processus primaires aux processus secondaires, le tracé condensent l’ici et maintenant de la relation teransféro-contretransférentielle.
Afin de rester au plus près de l’observation clinique, nous suivrons la chronologie de la séance. Le premier temps est perception de la consigne, une invitation à transitionnaliser. Ce premier impact psychique adjoint une injonction qui prête à symboliser et une feuille blanche, évocation du vide, du creux, de l’absence. Se crée alors un mouvement de réappropriation, de mobilisations psychiques et de représentation. Vient ensuite le passage du perceptif à la motricité, la construction d’un espace projectif.
1994. Dans le cadre d’une recherche portant sur les trajectoires sociales et trajectoires résidentielles, M. Bonetti donnait comme consigne aux participants de dessiner leur trajectoire spatiale et leurs lieux de référence selon qu’il s’agit de lieux habités, occupés transitoirement ou ayant de l’importance pour eux sans les avoir fréquentés. Nous avons nommé " lieu imaginaire" ce troisième type de lieu.
De Gaulejac, Shirley Roy (sous la direction de), 1993, Sociologies cliniques, Marseille, Hommes et perspectives. "La sociologie clinique a pour objet de démêler les nœuds complexes entre les déterminismes sociaux et les déterminismes psychiques dans les conduites des individus et des groupes ainsi que dans les représentations qu’ils se font de ces conduites. Elle s’inscrit au cœur de ces tensions entre objectivité et subjectivité, entre structure et action, entre individu produit sociohistorique et l’individu créateur d’histoire, entre la reproduction et le changement, entre les dynamiques inconscientes et les dynamiques sociales…" p 14.
P 182.