2.3 Tracer - représenter

‘"… l’enjeu de la question des médiations dans la vie psychique se situe dans l’articulation de trois espaces : l’espace intrapsychique et subjectif, l’espace interpsychique et intersubjectif, l’espace transpsychique et transsubjectif. La médiation est à penser dans chacun de ces espaces et, conjointement, dans leurs relations, parce que nous avons acquis par l’expérience cette conviction que ce sont précisément les médiations entre ces espaces qui sont en cause dans les pathologies et dans la culture contemporaine 297 ". ’

Cette citation introductive de R. Kaës invoque la complexité des liens en jeu dans le cadre d’une situation avec médiation . Au cours du "tracer-représenter" sont convoqués les protagonistes et les objets de transfert historiques ou préhistoriques.

Le cadre est récepteur de liens syncrétiques qui soutient une mise en mouvement du préconscient et de la représentation. Le fond syncrétique du cadre clinique autorise l’apparition d’affects ou d’émotions, l’évocation de lieux, de personnages perdus.

Le tracé s’accompagne généralement d’une mise en sommeil de la parole, d’une absence d’échanges verbaux.

Le silence est significatif de la capacité à être seul en présence de l’autre 298 :

‘"Etre seul en présence de quelqu’un est un fait qui peut intervenir à un stade très primitif, au moment où l’immaturité du moi est compensée de manière naturelle par le support du moi offert par la mère". ’

Jean, seul, s’entretiendra tout au long de sa réalisation avec nous. De même, il n’utilisera que l’écrit et ne passera pas par une production plastique, acceptation d’une régression à l’infantile, d’ouverture au play.

Le mouvement régressif, patent pour sept sujets, donne accès à un espace potentiel de transitionnalité, à un espace de création, tel que le définit Winnicott. Cet espace conjugue le moi et le non moi, les objets internes et la réalité extérieure.

Six jeunes débutent le dessin en haut à gauche. Ils se conforment au schème culturel de l’écriture latine. Tair débute en bas à gauche ainsi que Smaël dont la production est ténue. Quant à René son dessin occupe l’angle droit en bas.

Dans quatre cas, la figuration de la naissance initialise la trajectoire : Adjib, Jean, Mario, Mimoun, dans deux cas par l’enfance, en tant que période précédent la première séparation, Tair et Salah, et dans un cas par les lieux imaginaires, Ahmid. Peut–on penser que ce lieu ou période des origines serait lié au monde idéal : le ventre maternel ou au paradis de l’enfance ?

Construire/reconstruire une histoire appartient aux processus secondaires et au travail de liaison entre les différents espaces cités par R. Kaës. Cette reconstruction dans l’après-coup de discontinuités, de déliaisons tente de produire des continuités et des liaisons.

L’acceptation d’un mouvement régressif prend naissance dans le silence qui accompagne la production. La pensée se met en images concrétisées ou non dans le processus projectif (Jean et Adjib ne dessinent pas d’objets concrets mais trace des traits colorés, des lignes brisées). Le tracé mobilise des affects, des mouvements affectifs que l’utilisation de la couleur accentue.

Adjib couvre son papier de traits rouges assortis de commentaires écrits en noir.

Mario joint aux maisons des jardins coloriés en vert, bleu et marron destinant le crayon noir aux institutions de placement.

Mimoun s’empare du crayon rouge, le conserve et amplifie sa gestuelle, traçant des traits de part en part de la feuille. Tous les trois mobilisent dans le tracé des affects qui seront par la suite verbalisés.

La tension provoquée par la sollicitation de l’appareil psychique s’est résolue pour le plus grand nombre dans un plaisir créatif, dans la constitution d’un espace trouvé-créé.

Notes
297.

2002, p 18.

298.

D.W. Winnicott, 1958, p 209.