3.1 Mimoun, une trajectoire-ourobouros

Mimoun débute son dessin en haut à gauche, il y figure un immeuble représentant l’habitation de sa famille, au–dessus duquel il écrit "MAISON". Il poursuit toujours sur la bande supérieure et y joint la première institution de placement, placement d’urgence pour raisons familiales. Sur la même ligne, Mimoun figure le second foyer dans lequel il est placé par le juge pour enfants, deux ans plus tard. Il trace une flèche de retour de la première institution vers la MAISON puis une autre flèche qui le conduit de celle-ci vers la nouvelle institution. Un nouveau retour au point initial et une nouvelle flèche vers la droite. A droite de la feuille, en colonnes, le dessin d’une maison avec piscine, un CER et en dessous, la prison.

L’espace central de la feuille de Mimoun est empli de flèches indiquant les différents déplacements entre le domicile familial et les institutions. Une lecture attentive de ce fléchage, nous permet d’en repérer l’itinéraire. Un trait n’est pas vectorisé, entre le CER et le domicile familial.

Ce qui apparaît très nettement dans la figuration de Mimoun est l’investissement des bordures en haut et à droite de la feuille au détriment du bas et du bord gauche de la feuille. Je suis assise en face de Mimoun et Lucile, à sa droite.

Le jeune turc s’appuie sur les pourtours de la feuille pour construire son dessin, pourtours en contact avec les deux intervenantes. La relation anaclitique permet la réalisation plastique. La zone centrale est vide d’habitation et emplie de flèches. Cette zone, zone du moi, n’est pas habitée. M–M. Jacquet suggère que lorsque "… le cadre offert par le plan de travail va soutenir l’élaboration constructive plus que la créativité intérieure mise au service du mouvement de projection", l’organisation se réalise en faux-self. Cette assertion rejoint les descriptions des personnalités "comme si" 303 par Helene Deutsch ou, plus proche de nous, des aménagement " pseudo" de P. Roman. Un adolescent aux aménagements "pseudo" présente des comportements d’adultes mais a évité tout travail psychique, toute conflictualisation propre à l’adolescens. D’ailleurs, Mimoun se sent plus mûr que les autres garçons de son âge.

Hormis le passage du CER à la maison d’arrêt, Mimoun figure un incessant aller-retour entre institution primaire et institutions sociales. La maison, cette fois familiale, est définie comme lieu des origines et d’impossibles séparations. Peter Blos a mis en évidence le travail d’individualisation de l’adolescence, comme un dégagement des investissements infantiles et un remaniement du monde intérieur. La trajectoire spatiale de Mimoun souligne les difficultés de dégagement des premiers objets internes, parentaux et familiaux corroborant l’analyse de l’arbre généalogique.

Cet éternel retour vers l’institution primaire manifesterait-il une quête de l’objet perdu ou de l’objet non encore advenu ?

‘"Trouver un objet, c’est le retrouver… faute de quoi acculé à perdre ce qu’il n’a jamais possédé le sujet s’acharnera à revenir à ce moment unique de son histoire où s’ébauche ce qui sera plus tard un corps, un objet, un espace. Mais ce retour ne permet pas de dépasser l’expérience sensorielle pour élaborer, au niveau du fantasme, la problématique sous-jacente de l’absence et de la présence 304 ", écrit Sami-Ali.

Le dessin figurerait-il un jeu de la bobine, de va et vient, d’apparition-disparition du lieu de l’enfance, de la présence-absence de l’objet ?

Le dessin de Mimoun atteste en partie des thèses de B. Duez sur une topique psychopathique. Nous avons vu précédemment le rôle du Surmoi dans les transmissions culturelles et transgénérationnelles. Le Surmoi a une partie consciente et une partie inconsciente. La partie inconsciente correspond à la préhistoire du sujet et il s’y loge l’état le plus archaïque et le plus violent. Le surmoi, figuré à gauche est confabulé avec le lieu de la perception. Ici, la membrane perception/espace psychique est investie par les trois premiers lieux : maison, cité de l’enfance, premier foyer. Preuve d’une recherche de soutien dans la relation transférentielle ? En revanche, l’espace dévolu au Moi, imbroglio de fléchages, témoigne de l’interrogation sur sa constitution et sur les objets sur lesquels Mimoun pourrait l’étayer. Le Moi reste, en ce qui le concerne, un espace à habiter.

Mimoun juxtapose un temps chronologique, daté et ponctué et un temps circulaire répétitif.

In fine, les contenants de pensée sans cesse menacés limitent les échanges internes et internes/externes.

La trajectoire spatiale de Mimoun interroge la qualité des liens aux objets primaires, le possible ou l’impossible relais institutionnel dans la construction d’objets internes stables, d’un Moi différencié du Surmoi.

Notes
303.

Le caractère conciliant de Mimoun lors des entretiens, son adhésion au discours éducatif et son adaptabilité ainsi que l’apparition d’un noyau inorganisé à partir de ce qui nous semblait de prime abord structuré dans l’arbre généalogique corroborent cette hypothèse.

304.

Sami-Ali, p 157.