3.2.2 La filiation et les quartiers an-historiques

A l’intérieur de ces familles migrantes qui ont vécu des ruptures traumatiques, des exils, l’impossibilité de transmettre doit être lu comme une tentative de préserver l’autre de la souffrance.

De l’individu au collectif, les quartiers sont porteurs de ces tranches historiques douloureuses.

La banlieue, d’abord incarnation de la modernité de l’après-guerre puis bâtie à la hâte pour accueillir les ressortissants des anciennes colonies et enfin l’immigration essentiellement nord-africaine des années 70. La cité, issue des migrations, contrairement aux cités ouvrières, est coupée de ses déterminations culturelles et du travail de mémoire.

‘"Des altérités de référence qui auraient pu dire le passé et donc réguler et justifier un rapport pacifié à l’idéal du moi sont souvent socialement désavouées,mises sous le boisseau de l’oubli, voire du dédain. Je parle ici de la dignité historique des pères et mères souvent brisés, et dont les récits singuliers ne viennent pas encore s’articuler à un récit valable pour la communauté des citoyens de ce pays. J’évoque ici ce que Cherki appellerait, elle, "silenciation", désignant par ce terme les effets de la non-mise en récit et en mémoire, voire en mots, d’événements décisifs sur les inscriptions de nombreux hommes et femmes et de leurs descendants dans l’histoire contemporaine 339 ".

L’absence de mémoire collective, voire sa forclusion, soustrait tous les étayages sur des idéaux sociaux et transgénérationnels si nécessaires lors de l’adolescence. Nous en avons vu les effets lorsque nous avons abordé les récits des origines et le manque d’inscription des jeunes de notre échantillon dans leurs préhisoires.

Notes
339.

2003, p 37.