Trajectoire spatiale

Ahmid a été transféré à la prison Saint-Joseph et ne bénéficie plus de ses activités habituelles : "C’est vraiment la prison, il n’y a plus d’activités normales ". Il nous fait part à la fois de son assujettissement à l’arbitraire du monde carcéral qui le prive brusquement des quelques centres d’intérêt qu’il exerçait, et de sa volonté d’avoir prise sur son devenir par un appel sur la décision du tribunal. Il a sollicité une nouvelle expertise psychiatrique. Son avocate lui déconseille ces procédures mais il pense que sa réaction est le signe d’un désinvestissement.

A la consigne de la trajectoire spatiale " trajectoire à travers différents lieux : les lieux habités de manière permanente, les lieux temporaires, les lieux imaginaires, dont on rêve ", il réagit : « je dessine des maisons ? Çà peut-être un bateau le lieu imaginaire ? Le lieu temporaire, c’est la prison. »

Il écrit " lieu imaginaire" à gauche, au milieu " lieu permanent " et en dessous " chez moi ", à droite  " lieux temporaires ".

Il dessine trois cases sous " lieux temporaires " les unes à côté des autres qu’il laisse vides puis trois autre sous " chez moi". Pour le lieu imaginaire, il écrit et commente : " ce serait de faire un voyage sur une île avec un bateau ". Peut-il le dessiner ? " Et un palais en Inde".

Comment serait-il ?" Il serait beau déjà". Il tente un dessin mais l’efface aussitôt " J’ai essayé mais çà n’a pas marché ". Il a esquissé une série de traits que nous pourrions assimiler à des barreaux recouverts d’un toit en demi-cercle.

Les lieux permanents " Chez moi", le studio mitoyen au F1 de son demi-frère : " çà allait faire un an que j’y restais". Sinon, il était chez ses parents, le deuxième rectangle. Le dernier représente la maison de ses grands-parents en Algérie :" C’est loin".

" Je rentrais chez mes parents si j’avais envie de bien manger, le soir quand je terminais tôt et pour voir les petits frères ". Il suivait un stage dans la restauration et rentrait souvent tard comme son frère, établi en couple.

Tous les étés, la fratrie séjournait dans la ferme des grands-parents paternels en Algérie.

Qui habitent ces maisons ?

Il représente alors la ferme de ses grands-parents à l’intérieur d’une bulle avec les champs, la maison, les arbres, l’allée derrière la ferme et les deux grands-parents devant la maison.

Il se demande comment reproduire l’appartement de ses parents ; ils habitent dans un immeuble. Il trace les plans d’un appartement en notant la destination des différentes pièces. Comment est cet appartement ? "Il est grand, c’est un F6…il y a la chambre des garçons où dorment les six frères, avant ils étaient six…les deux grands frères sont partis…Je suis le premier à être parti…Normalement cette pièce devait être le salon, mais comme c’est la plus grande pièce çà a été la chambre des frères…Le plus petit dort avec les parents."

Et chez lui dans le studio ? "Chez moi, c’est pareil, c’est grand comme la cuisine chez les parents".
"Les lieux temporaires, il y a l’hôtel …Avec les copains et les copines, on dormait à l’hôtel, on prenait un chalet ou on partait cinq jours à l’hôtel sur la Côte…après je suis tombé en prison…Et il y a la prison, j’y suis temporairement…"  

Je recevrais seule Ahmid lors de la dernière rencontre, Lucile ayant eu un empêchement de dernière minute.

"Cela fait du bien de parler. Il faut bien se préparer pour l’avenir …pour les diplômes…Une longue peine… il ne faut pas se laisser aller…Je sais que je suis fort, que je peux arriver à me stabiliser. Ne pas succomber au désir …d’être avec les autres, d’aller voler…

Parler : çà me fait me rendre compte qu’il ne faut pas que je lâche l’affaire, il y a toujours une lueur d’espoir.

/ au rêve ?

"Quand j’ai commencé à voler, c’était comme si personne ne pouvait m’arrêter…Si on rêve et que çà devient réalité, c’est beau… J’ai beaucoup vécu pendant 2 ans. Ici, c’est ce que j’aurais dû vivre chez moi. A partir de 16-17 ans, j’étais dans un délire total. Mon père fermait la porte, je ne pouvais pas résister, je sautais par le balcon.

Quand j’ai pris un petit appartement, mon père ne m’a pas parlé pendant un an. Je n’aimais pas quand mon père faisait la misère à mes grands frères. Il les a envoyé à la cité de l’enfance... J’étais sur ma planète. Mon père a aussi un fils et une fille en Algérie. Il les aime plus. Cela fait des tensions comme ma mère, elle, ne se laisse pas aller…

Je passais mes vacances avec eux tous les étés.

Les femmes ? pour les femmes, il faut montrer qu’on a de l’argent, qu’on est celui qui a le plus d’argent."

Pour l’instant il attend son nouveau jugement en appel et son transfert, de s’installer dans une lieu de détention définitif pour faire une demande auprès d’un psychologue…

"Depuis 2 ans, j’ai eu le temps de réfléchir"