Deux mois plus tard : la trajectoire spatiale

‘" Il faudra que j’écrive des dates ?"’

Suite aux consignes, il juxtapose son temps à son parcours scolaire. Il se trompera plusieurs fois dans les dates. Il me demande à quel âge, on entre en CP. A 6 ans. Calcule, pense être entré en CP à 5 ans. Vient d’avoir 21 ans, la semaine dernière. « Si j’étais entré à 6 ans, j’aurais 21 ans…20 ans » Il reprend : un redoublement au collège et de la seconde.

Il n’utilise pas de brouillon ce qui explique le nombre de ratures, d’erreurs sur sa feuille. Il débute en haut à gauche, notant les dates en noir et les lieux en rouge. Il se reprend à plusieurs reprises dans ses calculs, d’un an, de deux ans….ce qui l’oblige à des retours en arrière.

Il note méthodiquement les numéros de département

« Les vacances après ! » J’avais précisé que les lieux temporaires pouvaient être les lieux de vacances.« Il y a plein d’autres endroits que j’ai oublié… »

Vous en restez là ?

‘« En rouge, toutes les habitations permanentes, comme vous dites ».Il écrit la légende en rouge et vert.’

Lieux imaginaires ?

‘" Depuis l’outre-mer, j’ai envie d’y retourner…C’est plein de lieux dans ma tête, Afrique, Indonésie Je voulais être traveller, je voulais tout arrêté…Burkina faso, un de mes ami est parti là-bas. Pour le revoir, il faut se déplacer. "’ ‘« Le japon aussi, j’aimerais bien tenter parce que c’est la pointe de la technologie…J’aimerai habiter là où c’est la pointe de la technologie…Je voudrais un téléphone où on ne compose pas les n° au cadran »’

Qu’est-ce que cela fait de voir ce dessin ?" J’ai déménagé 13 fois. Je trouve çà énorme… "» ( On retrouve la disparité entre le nombre important d’informations et leur représentation qui est réduite comme une peau de chagrin.)

" C’est énorme surtout quand on est enfant. La vie Outre-mer, elle est dure, elle est chère : les yaourts, les couches-culottes ... Maintenant, déménager, j’en ai marre…Quoique, je devais partir dans le nord pour mon travail " ( En fait il semblerait qu’il reste sur Lyon pour obtenir sa semi-liberté).

Puis il se penche sur son parcours scolaire qui l’a mené à ce métier. " Depuis 1996, je veux être représentant de commerce " (curieuse identification : le commerce…la route… traveller… l’errance… déménager sans cesse… ne pas se fixer …)

Il a fait une seconde agricole qui ne correspondait pas à ce qu’il attendait, a redoublé cette classe et est passé en STT. Il voulait être lad, jockey , métier inaccessible en raison de sa taille.

Par rapport aux différents lieux : " A chaque fois, c’était une expérience. Outre-mer, çà a changé ma vie. Mes grands-parents paternels sont racistes. Là-bas les noirs étaient racistes envers moi. Où que je sois passé, j’ai toujours été le comique de service…  Au collège, ils ne voulaient pas trop me garder. A N, ils m’ont redonné goût aux études et j’ai passé 2 années à N, loin de ma famille, en pension". Dans le Nord, après le redoublement, il recommence à zéro : " L’année dernière, je regrettais d’être parti du nord . J’avais rencontré une copine, j’aurais dû rester avec elle. Elle m’avait proposé. Elle avait 23 ans. Elle était infirmière… De Paris (la première années de sa vie) , je n’ai aucun souvenir".

Jean note au-dessus le type d’appartement. " N, c’était un ancien couvent comme la prison. Je l’ai vécu comme une prison la première année. Après comme une colonie de vacances ... En prison, il y en a qui en ont marre d’être les uns sur les autres… "

La semaine suivante, Jean reprend se feuille et écrit Arras en dessous de Blanc-Mont. Puis il décrit le paradis tropical où il envisage de retourner. "Dès qu’on sort de l’avion , on est dépaysé. Pendant 3 ans, on a fait des randonnées, de 8 ans à 11ans. Même l’école, ce n’est pas pareil qu’en France. Le maître donnait des coups de bambous dans le dos…On voulait tous y rester, seule ma mère ne voulait pas. Elle ne supportait pas la vie là-bas. C’est dur pour une femme européenne. Elle se faisait draguer…J’ai appris le créole. Quand je suis arrivé, le prof a donné des consignes en créole et je n’ai rien compris.La France quand je suis arrivé, c’était froid…Les gens étaient froids On a été séparé un an de mon père…

Puis on est parti à A et là j’ai fait des conneries. Je n’étais pas d’accord avec les méthodes de la plupart des profs. Le prof de français m’a interdit d’aller dans son cours pendant plusieurs mois…A N, la chambre était comme une cellule. Il y avait des fouilles aussi. C’était hyperdur. Un seul surveillant, un pion comme on disait au collège.

on avait commencé à moins s’entendre avec mes parents. Çà s’est amélioré parce que mon père n’était pas là. Je n’aime pas qu’on me dise ce que j’ai à faire. "

Qu’est-ce que çà fait tous ces déménagements, ces séparations ?

" Pour gagner plus d’argent, il faut déménager. Mon père, il aurait pu être colonel, il a les moyens intellectuels…"

Son frère veut devenir architecte." S’il se retrouvait en prison…çà peut arriver à n’importe qui… "

Au cours des semaines suivantes, Jean est de plus en plus ligoté à la loyauté envers ses parents. Il ne montre aucune émotion.

Je lui annonce mon prochain départ. Il m’écrit entre deux séances. Il me fait part à la fois de son mal-être et de son ressenti d’abandon liant pour la première fois son anxiété intra-carcéral à celle qui l’anime à l’extérieur. Il témoigne d’un désir de mourir. Cette lettre est un appel à l’aide mais le dramatique s’annule aussitôt par une dénégation: Il se sent mal aimé mais est très entouré, très aimé. Il a toujours eu des amis qui comptaient sur lui ( ?). Il oscille entre le grandiose et la disparition.

Il lutte contre la détresse qui pourrait apparaître…ce qui signifierait l’accès à la limite et à la castration.

La séance suivante il va très bien et il n’est plus question de rien, le petit garçon perdu a à nouveau disparu.

Il évoque des scènes au mess où il est à la fois malmené et à la fois indispensable au chef

Il a reçu des nouvelles de sa famille. Son grand-père paternel est très malade, s’il vient à mourir il ne pourra pas aller à son enterrement. De la même manière te sur le même plan, il regrette de ne pouvoir caresser sa chienne une dernière fois avant qu’elle soit piquée. Elle était sa confidente. Il associe d’abord sur la mort d’un oncle ou d’une tante qui l’a attendu pour mourir et qui a pu mourir après l’avoir vu une dernière fois…puis sur la mort de sa mère. Cette dernière a demandé à voir son enfant avant de mourir et le médecin a refusé… Là aussi on l’empêche de voir des proches avant leur mort…

La culpabilité de ne pas avoir pu retenir sa mère est réactualisée par le fait ne pas pouvoir empêcher la mort de sa chienne alors que dans son agression il tentait de sauver sa mère en lui rendant l’argent prêté hors de l’accord de son père.