Arbre généalogique

Lorsque je lui présente les consignes pour réaliser l’arbre généalogique, Lamzi déclare que la feuille lui paraît trop grande

" Dans ma famille, il y a seulement ma grand-mère, c'était ma mère, mon père, ma sœur…

A part ma grand-mère, je ne vois personne, je vais juste mettre ma grand-mère.. "

Je l'interroge sur sa mère.

" Ma mère, c'est un cauchemar. Moi, c'est blanc, elle c'est noir. C'est le contraire de moi."

Son père: "Mon père, je ne connais même pas son nom…si, son nom de famille c'est D mais je ne connais pas son prénom…Moi, j'ai le nom de ma grand-mère, de ma mère. Mon grand-père est décédé quand j'avais 7 ans, je l'ai à peine connu. Maintenant que ma grand-mère est morte, il y a ma femme et ma fille".

Il commence son dessin au milieu de la feuille en notant son grand-père. Il corrige sous son grand-père pour mettre un O et noter sa grand-mère à la place de son frère qu'il souhaitait marquer en premier.

Il inscrit les dates : " Ma grand-mère est morte à 81 ans il y a 3 ans" et calcule longuement sa date de naissance, puis écrit les dates de naissance et de décès de son grand-père, aîné d’un an de sa femme.

Il demande s'il doit se noter. Je lui demande si pour lui il fait partie de la famille. Il inscrit son nom sous celui de son frère.

Il s’interrompt : " A la maison ,il y avait du monde. J'ai 16 oncles et tantes. Mon grand-père travaillait à la préfecture, je ne sais pas ce qu'il faisait. J'ai aussi des sœurs, les filles de la sœur de ma mère. Elle est morte. Ma grand-mère les a adopté comme nous. Elles ont été élevées avec nous. "

Lamzi entame une nouvelle colonne à gauche de la première. Il prend le temps de regarder sa feuille: " Ce sont les gens que j'aime. 31 ans, çà fait naître à quelle date?… Çà c'est important. Elles sont mères de famille toutes les deux. "

Elles ont des enfants? Font-ils partie de la famille?

" Mais, ils sont tout-petits!!! ".

Il me sollicite pour l’orthographe des noms et des prénoms. Nouvel arrêt. Qu'est-ce que vous en pensez?

" J'avais oublié ma petite sœur. Je les aime quand même. Ils n'y sont pour rien si je ne les vois pas. " Il ajoute Samira à côté d’un triangle puis superpose un O. Arrêt, regarde. Il y d'autres petits frères?

" Ah, oui mon petit frère, je veux le mettre là, à côté de ma grand-mère."
Il récite les noms qu’il vient d’écrire. Il manque une fille d’une de ses sœurs adoptives, ses sœurs ont chacune 3 enfants: les enfants ne sont pas notés dans la colonne par fratrie. Les deux premiers sont les enfants de Linda; les deux suivants les enfants de Samira puis à nouveau le fils de Linda puis la dernière fille de Samira. Les enfants de Linda ont le même père mais seul l'aîné porte le nom de son père car sa cousine n'est pas mariée. Il ne parle pas du père des enfants de Samira.

" La fille de ma soeur adoptive, elle a 2 mois et j'ai oublié son nom. Il y a aussi le père, le mari de ma sœur: El H Nordine qui a fait beaucoup de choses pour moi. Quand il a connu ma sœur, j’avais 11 ans. Il m'a recueilli plusieurs fois. Il s'est occupé de moi. Ma grand-mère voulait qu'on soit soudé. C'est pour cela qu'on habitait tous dans le même quartier . Mais dès qu'elle est partie, on s'est dessoudé…"

" Quand je suis rentré chez moi, il y avait mes sœurs et leurs filles. Mes oncles et tantes étaient partis.

Ah! J'oubliais la personne la plus importante pour moi. C'est ma famille ! Celle que je vais construire."

Il écrit le nom de sa compagne à droite avec sa date de naissance, puis souligne des noms en rouge en commençant par sa concubine.

" Le trait rouge… Ceux que je porte en moi….Chez moi, il n'y avait pas mon frère qui était chez ma mère. Elle a réussi à le récupérer. Lui, il est resté un an chez moi puis il est allé chez ma mère. Moi, elle ne me l'a pas proposé. C'était dur. Elle m'aimait moins. Mon frère ne connaît pas la cigarette…Elle me l'a dit: j'aime plus Boucif que toi. Ma grand-mère disait : je t'aime plus toi que mes propres enfants. Elle m'aimait trop, elle est décédée parce que je lui en ai fait trop baver. Les parloirs …la prison, çà l'a rendu plus inquiète. L'inquiétude l'a rendue malade. Ses enfants l'ont dit, ma mère me l'a dit. A 78 ans, elle venait me voir en prison. Ce sont mes yeux (cette expression revient plusieurs fois). C'est encore mes yeux. Plus les années passent et plus elle me manque: ses mains sur ma tête, sa chaleur, son odeur, sa voix…ses cris aussi et son cœur. Elle valait cent mamans (sans maman). Comme elle disait : le jour où je mourrai, ils vont te manger. Quand je suis revenu, mes sacs étaient devant la porte. J'ai dit : Attendez que j'ai fini mon deuil !… Parler, çà éveille des souvenirs. Je ne croyais pas autant. Plus le temps passe, plus il y a des souvenirs. Mais çà fait du bien de parler même si je ne vous connais pas."

Au début comme il avait parlé d'une famille plus élargie, je lui avais soumis l'idée de réaliser un nouveau dessin avec toute la famille, avec ceux qu'il n'apprécie pas. Je ne suis pas revenue sur ma proposition qui m'a paru inopportune dans un second temps et qui était motivée par la pauvreté annoncée du groupe familial.

Je revoie Lamzi le lendemain de son jugement.

L'entretien portera uniquement sur son jugement. Il est encore submergé par tout ce qui s'est passé. Il a été condamné à 4 mois fermes et une amende de 10 000, 00F.

Le juge n'avait pas en sa possession son casier judiciaire en tant que majeur. Il a donc annoncé avoir un casier judiciaire vierge et c'est ainsi qu'il a bénéficié de sa clémence.

Il sait qu’il a des peines de prison en attente et a peur qu'on lui révoque ces sursis deux jours avant sa libération comme cela est déjà arrivé pour d'autres. Lamzi avait un an pour se présenter de son libre arbitre au commissariat de son quartier afin d’effectuer sa peine de prison : « Ceux qui le font sont fous!!! »

Il a ri lorsque le juge lui a annoncé l'amende: " J'ai ri car je ne la paierai pas. "

J’interromps l’entretien devant son excitation grandissante. Nous fixons un nouveau rendez– vous. Lamzi est transféré vers un nouveau centre pénitentiaire les jours suivants.