Arbre généalogique

Lucile est absente, je reçois Michel seule.

Il se plaint de ne pas avoir été appelé pour le groupe thérapeutique des malades alcooliques vendredi. A l’approche du jugement en appel, il veut pourvoir à l’injonction de soin et poursuivre les soins tout le long de son incarcération.

Je lui présente les consignes de l’arbre généalogique.

"Je ne sais pas ce c’est. Il faut faire un arbre ?(le répète plusieurs fois)Je ne connais pas les dates de naissance de mon frère et ma sœur, je connais leur âge seulement. "

Michel liste les membres de sa famille, en tenant compte des consignes. Il entame cette liste par sa mère : "Ma mère, je marque son nom, son nom de jeune fille parce qu’elle est gitane…Je marque ma sœur, mon frère et le nom et le lieu d’habitation ?"

Alors qu’il remarque ses fautes d’orthographe, je lui propose d’écrire les mots sur un brouillon. Il ne retient pas ma proposition.

Michel est très concentré, Son visage proche de la table.

Il commente : " Ma tante, elle habite depuis tout le temps avec nous. Elle a toujours habité avec nous depuis que mes grands-parents sont morts. On est tous solidaire. On s’aime tous, quoi ! ". Il fait un large sourire.

"Ce qu’il y a là où j’habite, c’est le terrain où habitait toute la famille de ma mère. Mon père a acheté une partie à mes grands-parents . Il y a donc une grande tante et…et (Il énumère une série de personnes) ".

Il se redresse à nouveau et me regarde bien en face : " L’âge, vous allez halluciner ! Elle a 75 ans ! Elle coupe encore son bois à la hache. Pourtant, mon père dit qu’elle a l’argent pour s’en acheter….J’ai une mauvaise écriture, on dirait un enfant de 8 ans qui écrit, çà craint. "

Son bras gauche reste sur sa jambe, sous la table. Il ne se sert que de sa main droite même pour déplacer la feuille qui glisse peu à peu hors de la table. De temps à autre, il lève les yeux s’assurant de ma présence et reprend ses écrits

Alors qu’il inscrit ses grands–parents, il procède en recopiant la ligne précédente, syntagme par syntagme.

Ses grands–parents maternels sont décédés, il appose une croix en marge après m’avoir demandé comment procéder. Cette croix vient en lieu des signes sexuels pour les autres membres de la famille.

Il se redresse : "Ayez, j’en ai encore de la famille mais j’arrête là. J’ai mis ceux que j’estime grave ! ..Je les aime quoi ! "

Qu’est-ce que çà fait de voir toutes ces personnes ?

"Çà fait du bien. Çà fait penser à eux. Je pense tout le temps à eux, surtout à mes grands-parents qui sont morts. Quand ils sont morts, j’étais petit, j’étais tout bébé. J’avais 4 ans. Ma grand-mère voulait me prendre dans ses bras avant de mourir mais mes parents ont refusé. Çà allait la fatiguer. Mon grand-père faisait du feu au milieu de la cour, il mettait du bois dedans. Ce sont des souvenirs qui m’ont marqués. Dans ma tête, je suis en prison, on dirait que c’est la fin du monde. Si j’aurais su, j’aurai écouter toute ma famille. Je n’aurais jamais fait le c… "

Michel est libéré dans la semaine suivante.