Arbre généalogique

"Çà va ?"nous dit-il en pénétrant dans le bureau, il se rappelait qu’il avait rendez-vous aujourd’hui. Il semble moins excité que lors de notre précédente rencontre.

Il ne sait pas ce que signifie un arbre généalogique.

Je lui énonce les consignes, j’insiste sur les liens entre les membres de la famille et j’énumère les différents membres d’une famille : les grands-parents, les oncles, les tantes, ceux qui habitent en France et ceux qui habitent ailleurs. Il écoute avec beaucoup d’attention.

"Ceci, en désignant le triangle, c’est pour les garçons ?" Il écrit en haut à gauche de la feuille.

" En face de la croix (le triangle-masculin), je mets le nom ? … Les dates de naissance, je ne sais pas, madame, je marque au pif."

Il établit une liste de quatre noms les uns en dessous des autres à gauche de la page.

"Je vais me mettre moi aussi, madame." Il ajoute son nom et son prénom en haut, à droite de la liste.

Il poursuit sa liste avec deux noms. Il s’arrête, sourit à P :"J’ai mis tout le monde."

Il a noté en dessous une adresse et un changement d’adresse.. Sa nouvelle adresse date de 6 mois, nous dit-il.

Son frère plus âgé : grand frère. Ce grand frère, que fait-il ? "Il n’est pas ici. Il travaille parfois". A-t-il été en prison ? " Non".

Sa grande sœur. Elle est plus âgée que son frère, redonne l’ordre exact de la fratrie, sa sœur, son frère et lui, il ajoute qu’il aurait du la mettre au-dessus.. Sa sœur aînée porte le même prénom que lui au féminin.

Il note ensuite ses demi-frères. Il note en nous parlant « école », « lycée » puis les classes de ses deux demi-frères cadets. La date de naissance semble erronée en ce qui concerne le premier.
Le patronyme de sa fratrie est S, celui de ses demi- frères est G. Ce nom est issu de nulle part.

" Ma mère s’est toujours appelé G et mon père aussi. S, je ne sais pas d’où çà vient…. Mon père ne s’appelle pas S , avant, au début, je m’appelais Espé."

Je lui demande de quel nom il s’agit. Il note alors sur la feuille SP et cinp P. (sans profession ? sans père ?)…

Il ne sait pas pourquoi il ne porte pas le nom de son père, ni pourquoi il a changé de nom.

Le papa de ses demi-frères ? Il cherche où écrire son nom. Finalement, il l’écrit à droite de la mère. Il note beau-père :

"Ils ont mis le nom de la mère au lieu du nom du père, vous voyez ce que je veux dire ?". A vrai dire, nous avons des difficultés à comprendre de quel nom il s’agit : nous supposons que sa mère a repris son nom de jeune fille suite au décès de son mari.

Sa mère est sans profession, elle a fait des ménages souvent, il note « ménage » : " mais elle a arrêté tout çà maintenant" .

Son père est décédé avant sa naissance. Il a noté sa date de naissance et la date de son décès. Le jour est le même que le jour de sa naissance, le 22, un an plus tôt ? ! "Il était paralysé".

Vous ne l’avez pas connu ? "Ma sœur, elle l’a vu. On en parle pas souvent. Ils ont fait un truc pour qu’on l’oublie ".

Vous savez où il est enterré ? "En Algérie, j’ai vu sa tombe. Mais il y a des complices. Je ne comprends pas sa disparition, encore si je l’avais vu… " Il se demande s’il n’est pas encore vivant. Il a vu "son enterrement ". "Je suis tombé sur sa tombe".

"Je me pose des questions mais elles restent sans réponse.  Çà sert à rien que je m’acharne dessus, j’ai un doute." A la maison, il y a des photos de son père. Il ne sait pas pourquoi il se pose ces questions. Il ne sait pas non plus d’où venait la paralysie de son père. " Je pourrais accuser…Ils sont tous complices, une histoire de famille…  Je ne sais pas si j’ai été volé ou pris à l’hôpital ou né normal. Je vais être honnête avec vous, madame."

Il n’a jamais vécu en foyer, est toujours resté en famille avec ses frères et sœurs.

"Ils m’ont dégagé une fois, ils m’ont dit barre-toi, normal, quoi ?"

A 19 ans, il dormait à Perrache, sur un banc, devant la prison.  Il possède les clés pour rentrer à la maison le jour de sa sortie de prison… "si on ne me les enlève pas …"

Il nous dit qu’il ne s’entend pas bien avec sa mère. Elle lui a écrit qu’elle ne viendra pas le voir tant qu’il n’arrêterait pas…

Son beau-père le tapait : "Il me tapait, il me tapait beaucoup, il me tapait les pieds…je crisais …je tapais des pieds…Il y avait une complicité affreuse…Il y avait des échanges …On ne sait pas ce qui se passe".

C’était quand il avait huit ans, dix ans…

" Quand je sortirai, je lui mettrais des gifles …Il a commencé à me taper les pieds …des gifles…des trucs de fou…de malade… Il y a plein de beaux-pères qui tapent les enfants, après ils s’en vont … Dès que je sors çà va mal aller, même pas un mandat, même pas une lettre… Dès que çà va péter, çà va péter".

Il évoque à nouveau la mort de son père dont on lui a parlé une fois. "Moi, je veux comprendre pour mon père. Je ne suis pas comme les autres. J’ai une espèce de réalité, je suis franc…Les choses que je ne devrais pas savoir, je les saurai après … Mon père, il travaillait bien, les gens ils me le disent, madame".

Son frère le battait, un de ses oncles également : "Oncle Mohamed est le frère de ma mère. Il porte le même nom que mon frère." Quand il était petit, il s’amusait bien avec son frère mais ils ne se parlent plus depuis 5 ans.

"On est dans la merde, on est trois…tout çà il faut que çà finisse mal, il faut pas qu’on se laisse absorber…on est pas des animaux…il faut qu’on vive notre vie". Il répète plusieurs fois : "Il faut que çà finisse mal ".

Il ajoute qu’il a peur de vivre sa vie.