2.1.2.1. La perspective éthologique

Les théoriciens à tendance éthologique recherchent la valeur adaptative de chaque comportement. Bowlby constate que, dès la naissance, l’enfant émet des comportements spécifiques qui peuvent être dirigés ou du moins suscités par le monde des adultes. Ainsi, l’enfant peut-il réagir par « fouissement » et succion aux stimulations des lèvres ; il peut s’ajuster posturalement (lorsque la mère prend l’enfant en position ventro-ventrale, l’enfant se détend et adapte son corps au corps de la mère) ; il peut tenter des poursuites visuelles, déclenchées surtout par les yeux de l’adulte, écouter attentivement, sourire, vocaliser, pleurer et s’agripper. Ce sont ces comportements de recherche de proximité que l’on désigne par comportements d’attachement. Bowlby insiste sur le fait que ces comportements ont une valeur adaptative évidente puisqu’ils tiennent en proximité l’enfant sans défense et l’adulte protecteur. Cependant, ils ne sont à proprement parler attachement que lorsqu’ils sont dirigés systématiquement vers une personne spécifique, ce qui se produit généralement vers le septième mois.

Une fois que l’attachement est bien structuré, nous devons faire une différence entre les termes d’attachement et de comportements d’attachement. Les comportements d’attachement sont intermittents, parfois présents parfois absents avec une intensité qui peut varier selon les circonstances et le contexte. Par contre, l’état d’attachement transcende le temps et l’espace et est un état général stable de l’organisme. Nous ne pouvons qu’inférer la présence de cet état stable à travers les observations des comportements d’attachement qui surviennent surtout en état de stress et qui sont systématiquement dirigés vers la même personne, dans la vaste majorité des cas, la mère.

Le concept important ici est celui de système de comportements qui réfère à une organisation hypothétique à l’intérieur de la personne. Il est muni d’un système de contrôle dont l’élément principal est la boucle de rétroaction (feedback). L’organisme possède un programme, un système récepteur et un système effecteur. La stimulation provient donc à l’individu par le biais de son système récepteur et influence son comportement en fonction du programme et du système effecteur.

Bowlby se dit frappé par le parallèle que nous pouvons faire entre ce genre de système mécanique et le comportement instinctuel des animaux. Il en vient à considérer que des comportements humains qui sont dirigés vers un but (Bowlby parle de « goal corrected ») auraient une « prédisposition génétique » (Ainsworth, 1973). Ceci implique en fait qu’un but spécifique comme le maintien de la proximité mère-enfant aurait un avantage pour la survie de l’espèce tout en demeurant relativement flexible et ouvert à l’apprentissage. Ainsi, les patrons fixés d’actions comme le sourire ou les premiers pleurs auraient un rôle primordial dans la petite enfance mais perdraient rapidement leur qualité de fixité au profit de comportements plus souples apportés par l’apprentissage.

Le système de comportements d’attachement réfère donc à une organisation psychologique (ou système) où les sentiments de sécurité et les conditions véritables de sécurité sont hautement en corrélation. De l’extérieur, l’observateur constate que le système régularise le comportement de recherche de proximité ou de contact avec une personne spécifique. Du point de vue psychologique de la personne attachée, le but de ce système est la sécurité ressentie.

Du point de vue de la théorie éthologique, ce système aurait une valeur adaptative. Au cours de l’évolution, les composantes du système spécifique à une espèce qui rehausse les chances de survie sont transmises à travers le code génétique. La fonction biologique d’un système de comportements est de donner des avantages de survie à l’espèce dans son milieu d’adaptation. La fonction du système d’attachement est alors de protéger l’enfant du danger que constituent les prédateurs ou, plus généralement, les dangers (réels ou psychologiques) de la vie quotidienne.

La plupart des recherches ont démontré la part de la mère dans ce processus. En effet, dans la plupart des cultures, les mères ont la charge première des enfants. Lamb et Goldberg (1982) expliquent cette constatation par les rôles sexuels définis par la culture qui se base sur les prédictions biologiques. Cependant, les observations disponibles aujourd’hui nous montrent que les enfants développent aussi, vers l’âge de 7 mois, une relation privilégiée avec le père. Ainsi, dans une situation nouvelle, presque tous les enfants entre 10 et 16 mois préfèrent nettement le père à une personne étrangère (Cohen et Campos, 1974).

De même, dans la situation où les deux parents sont présents, la très grande majorité des enfants ont nettement préféré la mère au père. Lamb, qui fut un des premiers à tenter des études systématiques de la relation père-enfant, n’observe pas de différence dans la préférence de l’enfant pour l’un de ses parents dans des situations de la vie quotidienne. Cependant, au moindre stress, l’enfant préférera se rapprocher de sa mère (Lamb, 1977).

Certains ont tenté d’expliquer cette différence par la nature même de la relation entre le père et son enfant. Par exemple, Yogman (1981) a observé des pères en jeu libre avec leur enfant de deux à six mois. Les observations montrent nettement que les pères produisent plus de comportements imprédictibles et arythmiques que ne le font les mères. Lamb (1977) conclut que les pères déclenchent plus facilement des jeux physiques souvent pleins de surprises alors que les mères utilisent des jouets et des jeux plus rythmiques comme le jeu de coucou. Les mères tiennent plus souvent leur enfant pour les soins physiques ou affectifs alors que les pères prennent leur enfant pour jouer avec eux.

La psychologie du développement contemporaine admet comme postulat fondamental que des expériences différentes devraient avoir des effets différents sur la socialisation. Nous pouvons donc ici conclure que les parents ont chacun un rôle différent dans le développement psycho-social de leur enfant. Il est aussi assez facile de voir pourquoi les enfants vont plus vers leur mère lorsqu’il y a stress puisque c’est près d’elle qu’ils sont habitués de recevoir les soins. Cependant, ce principe de l’effet différentiel des expériences nous mène aussi à envisager les différences individuelles dans la qualité de la relation d’attachement.

On note que le modèle de Bowlby parle peu des interactions visuelles mais situe plutôt son dispositif relationnel autour de la kinesthésie générale du corps. Notre recherche étudie les comportements verbaux/oraux et non verbaux entre les partenaires d’une interaction. Le contenu des discours entre les inter-actants ne sera pas analysé mais seule leur fréquence sera relevée. Cependant, les comportements non verbaux/oraux (kinesthésie, regard, toucher) seront étudiés. Ces comportements constituent une communication plurimodale ou multicanale. Ceci signifie que « lors d’une interaction de face à face par exemple, chaque interactant émet (et reçoit) un énoncé total, hétérogène, résultant de la combinaison généralement synergique de plusieurs éléments » (Cosnier & Brossard, 1984). Cette indication nous amène à aborder deux autres approches, l’une développementaliste et l’autre interactionniste.