2.1.2.4. Perspectives psychanalytique et pédo-psychiatrique

On sait combien de prix les psychanalystes du bébé ont accordé à la construction de la relation mère-enfant : les œuvres de Spitz, Mahler, Winnicott sont trop célèbres pour s’attarder encore sur ces contributions fondamentales. Pour rester au plus près de l’actualité, il faudrait rappeler l’ontopsychogenèse décrite par Anzieu comme une construction induite par la mère-enveloppe : dans les premières années, c’est la mère qui fournit l’enveloppe sonore, puis l’enveloppe visuelle et tactile à partir de quoi s’organisera le « moi » de l’enfant (Anzieu, 1985).

La fibre materniste est sans doute encore plus vibrante chez ces deux couples de psychanalystes qui ont occupé le devant de la scène des congrès de psychiatrie infantile : G. et M. Haag, O. et M. Marc. La pensée des premiers s’inscrit dans le fil de l’œuvre de Bick (Bick, 1968, in Haag, 1984), créatrice d’une méthode « d’observation régulière et prolongée d’un bébé dans sa famille » : on y retrouve, précisés et développés, les thèmes de l’identité adhésive, des angoisses néo-natales, des agrippements nécessaires, du vécu de la peau dans les toutes premières relations d’objet, etc. C’est du reste à ce propos qu’on prend conscience de l’importance de la fonction maternelle : « Le besoin d’un objet-contenant semblerait, dans l’état non intégré du premier âge, produire une recherche frénétique d’un objet (une lumière, une voix, une odeur ou autre objet sensoriel) qui puisse tenir à l’attention et, par là, être vécu momentanément au moins, comme tenant les parties de la personnalité ensemble. L’objet optimal est le mamelon dans la bouche avec la tenue (holding), le parler et l’odeur familière de la mère. Le matériel montrera comment cet objet contenant est vécu concrètement comme une peau. Le développement défectueux de cette fonction peau première (…) produit une fragilité générale dans l’intégration et les organisations à venir (…). Le phénomène seconde peau qui remplace l’intégration d’une première peau apparaît sous la forme d’une coquille musculaire, de type partiel ou total, ou d’une musculature verbale correspondante ».

L’un des apports majeurs d’O. et M. Marc (Marc, 1985) est sans doute d’avoir tenté de théoriser la structuration du psychisme par rapport à l’état du nouveau-né avant sa naissance, l’état « d’être amniotique », c’est-à-dire cet « ensemble constitué d’un placenta (qui est partie de lui-même), d’une enveloppe amniotique, du liquide amniotique, d’un cordon ombilical et d’un fœtus ». Leur thèse revient à affirmer que le nouveau-né découvre ce qu’il était avant de naître et lutte de toutes ses forces pour ne pas perdre cet état. Pour ce faire, il se sert du corps maternel qu’il ne différencie, au début, guère plus de lui que le fœtus ne se différencie des éléments qui constituent l’être amniotique. Là encore, la fonction maternelle d’enveloppement et de protection contre l’angoisse est désignée avec beaucoup d’insistance.

La perspective pédo-psychiatrique a entraîné une littérature très importante lors des trois dernières décennies. Le modèle de la mère aimante, garante de la protection et des soins, se détache très nettement des publications des paidologues d’aujourd’hui. Avant d’en apporter la preuve, il serait bon de distinguer ceux qui apparaissent d’abord comme des chercheurs de ceux qui sont plus connus comme praticiens.

Parmi les premiers, les travaux de Stern (1977) et de Schaffer (1981) et aussi, de ces collaborateurs ou continuateurs d’Ainsworth qui ont fait connaître leurs travaux depuis 1978 (Blehar, Waters, Wall, 1978) jusque plus récemment (travaux de Belsky, 1985 ; Egeland, 1984 ; Sroufe, 1983 ; etc.). Tous ces auteurs ont en commun de prendre une part de leur inspiration théorique chez Bowlby, et s’il fallait les rassembler sous une bannière, on pourrait peut-être dire qu’ils se situent tous dans la mouvance interactionniste : la mère et l’enfant sont engagés dans une sorte de danse, de « dialogue » qui donne lieu à concordance mais aussi à discordance, à des phases d’accordage mais aussi à des ratés. L’approche interactionniste est très présente dans beaucoup de recherches qui ne considèrent plus l’enfant seul mais en synergie avec le monde qui l’entoure.

Chez ceux que l’on considère avant tout comme des praticiens, les travaux de deux pédiatres pourraient être mentionnés : Brazelton et Grenier.

L’œuvre de Brazelton est désormais très accessible aux lecteurs français : elle a été traduite non seulement dans des ouvrages de vulgarisation (1983, 1985, 1986, etc.) mais aussi dans des articles à visées plus spécialisées qui ont traité de l'interaction mère-enfant (Soule, 1982) ou de l’échelle d’évaluation du comportement néo-natal (Brazelton, 1983 ; Lebovici, 1983). Ainsi, selon Brazelton, après la naissance, le bébé a besoin d’avoir autour de lui une « enveloppe de maternage » qui se substitue à l’enveloppe utérine ; c’est à l’intérieur de ce système d’ajustement réciproque que le bébé pourra manifester ses « compétences » et que la mère pourra prendre confiance dans la capacité du bébé à agir et dans sa propre capacité à répondre aux besoins du bébé ; c’est la présence de la mère qui est définie comme prioritaire dans les premiers mois du développement. Brazelton, surtout dans ses derniers ouvrages, envisage le rôle et la fonction du père mais la plupart de ses écrits sont centrés sur la relation mère-enfant.

Grenier s’est particulièrement intéressé aux méthodes de diagnostic utilisées par les neuro-pédiatres et il a découvert qu’on pouvait « anticiper » sur le développement de l’enfant en anticipant sur le contrôle de la tête (Grenier, 1985). L’examen qu’il a mis au point est destiné avant tout aux cliniciens spécialisés mais il faut savoir que ce praticien apprend aussi aux parents – et le plus souvent à la mère – à « déparasiter » la motricité du nourrisson (grâce au soutien de la nuque ) et surtout à induire la « disponibilité sensorielle » puis cet état de relation intense qu’il qualifie de « libéré » : il s’agit bien d’amener les parents à découvrir eux-mêmes la compétence de leurs enfants et de conduire les enfants à démontrer eux-mêmes à leurs parents l’intégrité de leur système nerveux central. Comme chez Brazelton, le souci de conforter les mères dans leur propre compétence et de les inciter à dialoguer avec leur bébé vient au premier plan.