2.2. L’interaction parents-enfant

2.2.1. Définition de l’interaction

On considère généralement, à juste titre, que c’est le psychosociologue G.H. Mead (1934) qui a introduit le premier avec clarté la notion d’interaction dans les sciences humaines. Il a montré qu’il est pertinent de considérer que le « Moi » n’existe que par et dans les interactions sociales, et que le processus même de la pensée est de nature interactionniste puisqu’il trouve sa source dans l’aptitude progressive à adopter le point de vue d’autrui sur soi.

Pour Maisonneuve (1968), une interaction « a lieu lorsqu’une unité d’action produite sur un sujet A agit comme stimulus d’une unité réponse chez un autre sujet B et vice versa ». C’est donc au maximum un couple d’influences réciproques et simultanées intervenant entre deux acteurs. Pour Goffman (1988) par ailleurs, « l’ordre de l’interaction » est le domaine qui vient à exister lorsque « deux personnes ou plus sont en présence de la réponse de l’autre ». Une interaction est donc « une classe d’événements qui ont lieu lors d’une présence conjointe et en vertu de cette présence conjointe ».

Mais une interaction ne fonctionne jamais seule. Elle fait partie d’un ensemble, d’un « système d’interactions ». Comme tout système, il possède des caractéristiques propres, différentes de celles de ses éléments pris isolément. La notion de système apporte aussi avec elle la notion de causalité circulaire. Cela signifie que le comportement de chacun est pris dans un jeu complexe d’implications mutuelles, d’actions et de rétroactions. Comprendre la signification d’une conduite en tant que communication exige alors de la replacer dans le système total. Cela exige aussi de privilégier une analyse des interactions « ici et maintenant » dans une approche synchronique montrant que le système fonctionne, plutôt qu’une démarche qui expliquerait le présent par le passé. Un système d’interactions est donc un ensemble d’interactions qui donne un sens à une action qui s’insère en son sein (Watzlawick, 1972). Ainsi une action, une communication, c’est-à-dire une interaction, lorsqu’elle est analysée seule n’a pas de sens.

Ces analyses nous amènent directement à la notion de « cadrage » des observations. Un phénomène demeure incompréhensible tant que le champ d’observation n’est pas suffisamment large pour qu’y soit inclus le contexte dans lequel ledit phénomène se produit. Il faut donc le « recadrer », le remettre dans un contexte, ici, un contexte interactionnel (Watzlawick, 1972). Cet auteur rappelle, en particulier, qu’un contexte ne peut déterminer un méta-contexte. C’est-à-dire que l’on ne peut expliquer ce qui se produit dans un contexte par des mécanismes empruntés à un niveau hiérarchiquement inférieur. Par exemple, pour comprendre ce qui se passe dans une famille, il est logiquement erroné d’invoquer – comme on a tendance à le faire spontanément – les caractères des individus, c’est-à-dire appliquer à une classe une démarche qui part de ses éléments pris isolément. Il faut trouver les explications dans un méta-contexte, à savoir dans les caractéristiques du système relationnel en entier. Il faut se situer à un niveau supérieur et non à un niveau inférieur.

Notre recherche adopte le modèle « interactionniste et systémique » (il appartient au modèle systémique et se focalise sur l'interaction). C'est un modèle dynamique issu de l’Ecole de Palo Alto dont les cinq principes de base sont :

  1. il est impossible à tout individu placé dans une interaction de ne pas communiquer
  2. toute communication présente deux aspects : le contenu et le type de relation (l’explicite et l’implicite), le discours implicite étant appelé « méta-communication
  3. la nature de la relation dépend de la ponctuation des séquences de la communication ; les silences, les temps séparant deux entretiens sont importants et dynamiques
  4. il existe deux modes de communication la communication digitale (verbal) et la communication analogique (tout le reste, c’est-à-dire les mimiques, postures, gestes, intonations…)
  5. les interactions sont symétriques ou complémentaires.

Lorsque nous abordons ce modèle comme « lunette de vision », nous allons privilégier des questions comme :

  • quelles sont les formes récurrentes d’interaction ?
  • quel ensemble forment-elles ? (Quel « jeu » existe entre les acteurs ?)
  • quelles communications paradoxales sont présentes ?
  • quels avantages apporte ce jeu aux différents acteurs ?

Mais on ne peut que mettre en évidence des jeux spécifiques car il n’y a pas de « forme générale » de jeu qui serait valable pour tous les systèmes d’interactions entre tous les acteurs possibles. C’est pour cette raison que, dans notre recherche, nous avons aussi adopté le modèle « Emetteur-Récepteur » ou « modèle de traitement de l’information » de Shannon et Weaver (1945) pour traiter le contenu des interactions. Ce modèle renvoie à la métaphore du télégraphe. Un émetteur envoie un message. Il est codé au départ, puis transmis sur la ligne télégraphique. A l’autre bout, le récepteur reçoit et décode le message. Ce modèle est donc centré sur le contenu et le transfert de l’information. Ainsi, lorsque l’on utilise un tel modèle comme grille de lecture, on va évidemment se poser ces questions : quelles sont les information de départ ? Quel est le codage de l’information ? L’information est-elle parasitée ? Quel décodage, quelle distorsion, quel résultat parviennent au récepteur ? Dans notre recherche, nous sommes placés soit côté récepteur, soit côté émetteur, pour analyser la dynamique des interactions. Mais l’aspect digital n’est pas le seul à être pris en compte, c’est aussi la communication non verbale, c’est-à-dire les modes de communication par le regard, le toucher et la kinesthésie, qui est étudiée entre les deux partenaires de l’interaction.

Ainsi, ces deux modèles « interactionniste et systémique » et « émetteur-récepteur » peuvent être complémentaires lorsque nous désirons étudier la dynamique de la communication. La notion l’interaction se situe sur plusieurs niveaux.