2.4.3.4.1. la communication non-verbale

Pour l’enfant voyant, une variété de comportements établissent la communication avec les autres. Les contacts œil-œil et les sourires sont de bons exemples. Ces comportements établissent et maintiennent un lien de communication.

  • Le contact œil-œil :

Pendant la petite enfance, le contact œil-œil n’est probablement pas spécifique pour communiquer mais il aide à ce que le parent s’engage dans une intention. Klaus et Kennel (1976) montrèrent que ce contact entre le parent et son enfant est important pour établir très tôt l’attachement. Il n’est donc pas surprenant que le manque de contact œil-œil avec les nouveau-nés et les enfants aveugles aient un impact dépressif sur les parents et puissent constituer un fardeau émotionnel pour ceux-ci.

La relation mère-enfant est rendue difficile sans interaction œil-œil et bien que l’enfant réagisse à l’ouïe et au toucher avec des sourires, cette relation est nécessairement plus subtile que celle de la mère avec un bébé voyant. L’enfant aveugle peut paraître indifférent, donnant lieu à des risques de sous-stimulation ou de sur-stimulation et à un «accordage » (Stern, 1977) affectif défectueux.

Comme Fraiberg (1977) l’a montré : sans vision, l’enfant tout d’abord a de la peine à s’apercevoir que non seulement les objets mais aussi les personnes continuent à exister après un contact auditif ou tactile ; des indices auditifs montrant la présence ou l’absence d’une personne mettent un temps à pouvoir être établis. Il est ainsi plus difficile pour l’enfant de se faire une représentation mentale de la mère comme entité séparée ainsi qu’une image de soi-même en partie grâce au « miroir » que représente la mère. Un délai dans le jeu symbolique et dans l’utilisation des pronoms « je » et « tu » en est une des possibles conséquences. Une fois reconnues les différences, les séparations sont moins contrôlables et plus pénibles et l’angoisse d’abandon plus fréquente. Il en va de même face à la présence d’étrangers.

Ces épreuves, l’enfant aveugle les surmonte grâce à l’intervention des parents devenus des « miroirs » auditifs et tactiles et capables d’interpréter les signaux de l’enfant et de garantir une organisation et une prédictabilité perceptibles pour l’enfant. Le risque majeur de cette phase est la surprotection qui maintient l’enfant dans une surdépendance.

  • Le sourire : inné ou acquis ?

Au début, le sourire joue un rôle similaire au contact œil-œil. Ce n’est pas avant plusieurs mois que l’enfant l’utilise en tant qu’affect positif, expression de ses émotions. Pour que ces comportements aient un effet sur la relation, il faut que les parents les perçoivent. Ainsi, si le parent ne regarde pas son enfant, ni le contact œil-œil, ni le sourire ne peuvent établir le lien de communication.

Fraiberg (1977) nota que jusqu’à six mois et au-delà, le son de la voix du parent peut provoquer le sourire chez l’enfant aveugle mais beaucoup moins qu’une forte stimulation tactile ou kinesthésique. Ainsi, si le parent d’un enfant aveugle n’a pas connaissance de ce qui déclenche le sourire chez son enfant, il sera alors enclin à penser que son enfant le rejette et pourra se retirer de la communication.

Les recherches de Rogers et Puchalski (1984) ont montré que le sourire pouvait être le médiateur effectif dans l’interaction sociale entre le parent et son enfant. Mais dans leurs observations à partir de séquences de dix minutes de jeu filmées, pendant lesquelles les parents devaient réagir aux signaux de leurs enfants aveugles, les données ne mirent pas en évidence ce rôle de médiateur effectif du sourire. Elles ont pu cependant servir comme base du comportement social dans la dyade parent-enfant.

Fraiberg (1977) s’intéressa aussi aux expressions faciales autres que les sourires. Elle montra que le répertoire de ces expressions faciales est moins riche chez l’enfant aveugle (par rapport aux nombreux exemples des interprétations parentales concernant l’attention, le désir, la perplexité, le doute, l’ennui). Mais Fraiberg conclut que ces interprétations étaient erronées et, qu’en fait, l’enfant aveugle communiquait avec les mains.

  • Les mains :

A partir d’observations de films vidéos, Fraiberg (1974) a montré qu’un « langage » expressif passait par les mains de l’enfant aveugle. Ce « langage » commençait au deuxième mois et se différenciait de plus en plus au fil des mois. Fraiberg en fait une description : « les mains, non occupées, cherchent la main de sa mère ou son corps. Les mains s’attardent, touchent doucement ou saisissent, se retirent, reviennent. Parfois, nous apercevons sur le film une sorte de ballet dans lequel les mains de l’enfant cherchent et trouvent la main de sa mère et celle-ci maintient ou répond au signal » (p.228).

Fraiberg ne dit pas que ces signaux avec les mains n’apparaissent pas chez l’enfant voyant, mais chez l’enfant aveugle, ce moyen de communication potentiel est beaucoup plus important à cause de l’indisponibilité du système communicatif non verbal basé sur le contact œil-œil ou sur les expressions faciales. Ainsi, il est essentiel pour le parent d’explorer et de développer chaque moyen de communication avec son enfant aveugle, en incluant le langage par les mains.

  • La posture :

D’autres comportements requièrent aussi que le parent les perçoive comme la posture de l’enfant. Par exemple, un corps détendu et docile lorsque l’enfant est tenu montre le confort et la sécurité alors qu’un corps raide et à l’allure gênée dénote le contraire. Mais la communication n’est pas effective avant que le parent puisse faire une distinction parmi les comportements de son enfant.

Il pourrait sembler logique que ni la capacité de l’enfant à communiquer par sa posture, ni celle du parent à percevoir ce comportement ne soit affectée par la présence ou l’absence de la fonction visuelle. Cependant, Rowland (1984) montra que les cinq enfants de son échantillon présentaient une variété de comportements posturaux (par exemple rejeter le corps sur l’arrière, remuer les bras) qui étaient interprétés comme respectivement l’expression d’états affectifs d’aversion ou d’excitation.

Cependant, parmi les enfants existent des différences individuelles : certains enfants sont plus détendus et semblent plus dociles que d’autres. Et le danger ici est, comme cela était le cas avec le sourire, que le parent d’un enfant aveugle interprète le refus de collaborer (par sa posture) comme l’indication d’un rejet et se retire de la relation. La dynamique de cette situation n’est pas différente avec un enfant voyant mais le parent d’un enfant aveugle peut coupler cette réaction à la condition visuelle de son enfant pour ensuite penser que ce n’est pas la peine d’essayer de s’engager dans la communication. Cette inclination peut être forte lorsque l’enfant est prématuré et que l’hospitalisation augmente les difficultés d’attachement parent-enfant. Une guidance précoce est nécessaire afin de contrer cette situation.

  • Les vocalisations prélinguistiques :

Avant de parler, les bébés babillent. Ils produisent des sons qui ressemblent vaguement à un langage. Ces sons, pendant la première année, se perfectionnent. Ceci est la conséquence de la maturation du système vocal et de l’apprentissage perceptuel. Burlingham (1961), Haspiel (1965) et d’autres chercheurs pensent qu’il n’y a pas de différences notables entre l’enfant voyant et l’enfant aveugle dans le développement du babillage. En effet, le système perceptuel impliqué dans ce phénomène dépend plus de l’audition que de la vue.

En revanche, comme le note Fraiberg (1977), la cécité ne semble pas avoir d’incidence sur l’apparition et l’évolution des premières vocalisations même si celles-ci sont utilisées essentiellement en réponse à l’adulte ou à un événement et non pour initier une interaction.

Rogers et Puchalski (1984) ont montré que la fréquence de vocalisations chez les enfants aveugles était moindre comparée avec un échantillon d’enfants voyants, et que les vocalisations des enfants aveugles étaient plus souvent négatives et moins positives en tonalité que celles des enfants voyants.

Rowland (1984) analysa le principe de contingence entre les comportements des enfants et de leurs mères. Les enfants étaient étudiés pendant six mois. Ainsi, la probabilité que les vocalisations de l’enfant suivent un comportement maternel était relativement bas : « une mère parlant à son enfant ou produisant un bruit avec un jouet n’amenait pas souvent l’enfant à changer de comportement… les vocalisations des enfants augmentaient moins que leurs sourires ou leurs gestes après les vocalisations de leurs mères » (p.301). Les mères, quant à elles, répondaient plus aux sourires de l’enfant qu’à ses gestes ou vocalisations, mais aussi, elles répondaient aux vocalisations de l’enfant plus par le toucher que par le discours.

Par ailleurs, Rowland trouva que les mères des enfants aveugles produisaient plus de vocalisations non contingentes, c’est-à-dire qu’elles parlaient souvent à leur enfant mais pas en réponse à ses vocalisations. Il nota que « ce comportement est la conséquence naturelle de son désir de pousser son enfant à répondre. Aussi, le modèle conversationnel naturel est impossible » (p.301).

D’autres comportements qui sous-tendent la relation avec autrui comme le geste de tendre les bras pour être pris n’apparaissent pas. Le geste de pointage, dont on connaît l’importance pour initier l’échange avec l’adulte sur un objet désigné, est aussi absent chez l’enfant aveugle