2.4.3.4.2. Le langage oral

L’enfant malvoyant ne bénéficie pas de cette occasion naturelle d’une première introduction indirecte au langage et de tout ce qui vient étayer le vocabulaire, les concepts et les descriptions. Il ne voit peut-être pas les échanges qui interviennent lors d’une communication expressive et réceptive.

On observe parfois chez les plus jeunes un mutisme complet, plus tard, le langage en écho classiquement décrit : le vocabulaire paraît alors riche ; certains enfants sont capables de reproduire intégralement les phrases qui viennent de leur être adressées sur le même ton et parfois avec le même son de voix. Ils peuvent répondre à une question par la répétition de la question posée ; ils se désignent par leur prénom ou à la troisième personne.

De nombreuses études ont montré que l’apparition des premiers mots chez les enfants aveugles était plus tardive que chez les enfants standards (Norris, Spaulding & Brodie, 1957 ; Reynell, 1978). Le contenu de leurs premiers mots est le nom de personnes et concerne les mouvements de leur propre corps.

Les expressions sociales sont utilisées dans des contextes plus ou moins appropriés (Urwin, 1983). Certains mots sont utilisés souvent vidés de leur contenu et en dehors de toute expérience perceptives (conduites de « verbalisme »). On pourra également noter des perturbations comportementales dans les échanges face-à-face comme le fait de s’approcher trop près de l’interlocuteur ou de ne pas le regarder. La proxémique serait ainsi modifiée.

De nombreuses recherches sur la régulation sociale (Hall, 1971) ont porté sur les comportements non verbaux et leur signification particulière en termes de régulation de l’interaction entre individus. En effet, l’espace dans lequel s’établit une communication interpersonnelle nous influence d’une façon subtile dont nous ne sommes pas toujours conscients. « Chacun a son espace personnel », une  espèce de « bulle psychologique » qui lui est propre et qu’il n’aime pas voir brusquement envahie. Nous préférons généralement signifier aux autres à quel moment ils peuvent se rapprocher et franchir cet espace psychologique. Quoique chacun tende à délimiter son espace personnel en fonction de la distance physique, dans l’ensemble, des schémas culturels contrôlent et régularisent cet espace et ces distances interpersonnelles. Hall a mis en évidence quatre distances appelées « intime, personnelle, sociale et publique » qui, non seulement, évoquent le type d’activité et de rapport entre les personnes en contact mais témoignent également des sentiments réciproques, ces derniers constituant un facteur décisif dans la détermination de la distance. Ainsi, la distance intime va du fait d’être très proche (7-15 cm) pour un murmure, une communication confidentielle ; la distance personnelle (45 à 125 cm) permet la discussion de sujets personnels ; la distance sociale (2 m à 3 m) est le lieu des rapports professionnels et sociaux ; la distance publique (3,5 m à 7,5 m) est utilisée par un orateur par exemple. Les auteurs de la proxémique ont donc remarqué que lorsque les individus ne respectaient pas les règles établies, c’est-à-dire lorsqu’ils franchissaient des limites non conformes aux attentes des autres selon les circonstances, ces derniers ressentaient généralement un malaise. La distance est le témoin de l’implication dans la communication.

Mellier et Deleau (1991) montrent que la fonction pragmatique du langage, celle qui renvoie au contexte social, pose problème. A ce sujet, ils décrivent trois caractéristiques particulières du langage des jeunes enfants aveugles : ils parlent essentiellement sur sollicitation de l’adulte ; ils parlent ensuite seulement pour eux-mêmes pendant leurs jeux mais se taisent dès que l’adulte cherche à communiquer ; enfin ils parlent quasi exclusivement pour maintenir la relation et l’attention de l’autre quelle que soit l’activité qui les occupe. Parler semble donc être une action en soi avant de servir réellement de communication.

Andersen, Dunlea et Kekelis (1993) dans une revue de questions sur les débuts du langage de l’enfant aveugle, constatent que les termes employés ne contiennent aucune information descriptive, se réfèrent à soi et aux événements passés, ce qui constituerait pour les auteurs une stratégie adaptative de façon à éviter les incompréhensions sur le contexte présent. Ils observent également un usage erroné des prépositions indiquant le temps et l’espace, l’enfant aveugle devant gérer les concepts de temps avant ceux liés à l'espace, alors que c’est l’inverse pour l’enfant tout-venant.

Guidetti et Tourrette (1996) montrent que d’une manière générale, le langage est très investi par l’enfant aveugle et le développement linguistique semble se faire normalement sur le plan du vocabulaire et de la syntaxe. Des différences sont à noter dans le développement de l’enfant déficient visuel par rapport au développement de l’enfant standard. Il n’existe pas de personnalité type de l’enfant aveugle, tout au plus peut-on souligner quelques caractéristiques comme une forte passivité entretenue par l’entourage de l’enfant qui ne l’incite pas à agir seul et qui tente de lui éviter toute expérience nouvelle supposée dangereuse. L’enfant risque donc de se développer dans un contexte de dépendance et de surprotection pouvant être à l’origine des retards observés dans la mise en place des différentes acquisitions.

Après avoir abordé le développement de la fonction visuelle, les différentes pathologies de la vision et le développement de l’enfant déficient visuel, nous allons entreprendre la partie expérimentale de notre recherche mais auparavant nous allons résumer les différentes étapes de notre partie théorique.

Ainsi, la partie théorique de notre travail abordait la relation parent-enfant et l’implication du déficit visuel de l’enfant sur l’interaction. Nous avons d’abord présenté le concept d’attachement si important pour l’adaptation de l’individu à son environnement et pour son développement. Ensuite, l’interaction parent-enfant standard et l’interaction parent-enfant déficient visuel ainsi que le point de vue transactionnel ont été étudiés. Enfin, le dernier chapitre a porté sur la vision de l’enfant et les divers troubles visuels supportés par l’enfant ainsi que leurs conséquences tant sur les développements moteur, cognitif que communicatif.

Nous allons maintenant aborder la partie expérimentale de notre recherche et, en premier lieu, présenter la problématique.