3.4.1. Premier objectif de l’étude

Notre premier objectif était de comparer la dynamique de l’interaction, toutes phases confondues. Nous avons comparé les réactions des enfants face aux adultes et les réactions des adultes face aux enfants pour les neuf enfants ( « déficients visuels », « déficients visuels avec un handicap associé » et « standards »).

L’hypothèse postulée était que durant les séquences d’échanges, la mère initiera plus souvent l’interaction par rapport à l’enfant. Elle prendra la direction de la communication et ceci d’autant plus en fonction de l’importance du handicap de son enfant. Ainsi, avec le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé », la mère sera plus directive et dynamique (comparée avec le groupe d’enfants « standards » et le groupe d’enfants « déficients visuels ») pour combler le déficit de l’enfant.

Les analyses ont d’abord permis de montrer que les mères face aux enfants réagissent plus que les enfants face à elles (tous les enfants confondus). En revanche, si nous comparons les réactions de la personne extérieure à la famille face aux l’enfant et les réactions de l’enfant face à cette personne extérieure, le nombre d’événements est supérieur avec l’enfant. Et si nous comparons les réactions de la mère face à l’enfant et les réactions de la personne extérieure à la famille face à cet enfant, nous remarquons que le nombre d’interactions est bien moindre avec cette dernière.

Lorsque nous comparons les interactions en inter-groupes en distinguant les trois groupes d’enfants (« standards », « déficients visuels » et « déficients visuels avec un handicap associé »), nous observons qu’avec le groupe d’enfants « déficients visuels », toutes les interactions, quel que soit l’acteur, sont beaucoup plus nombreuses que dans les autres groupes. Puis le groupe d’enfants « standards » arrive en second et enfin, très loin derrière, se situe le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé ».

Lorsque nous effectuons une comparaison intra-groupes, les enfants réagissent beaucoup avec leur mère et nettement moins avec la personne extérieure à la famille. La différence est importante.

Le nombre des interactions avec les pères aussi (pour les trois enfants « déficients visuels ») sont moins nombreuses qu’avec les mères (que ce soit du côté de l’enfant ou du côté de l’adulte). La personne extérieure à la famille arrive toujours en dernière position.

Toujours dans le groupe d’enfants « déficients visuels », il existe une différence entre les trois enfants. Avec le plus jeune d’entre eux, les interactions (côté enfant et côté adultes) sont deux fois moins nombreuses qu’avec les deux autres enfants. Ainsi, l’âge de l’enfant influerait sur la quantité et la qualité de l’interaction. Cette influence de l’âge des enfants se retrouve aussi lorsque nous considérons les réactions de l’enfant face à la personne extérieure à la famille.

Peu d’effets (simples ou d’interaction) sont relevés lorsque les interactions sont considérées dans leur globalité. Parmi eux, seul l’effet « âge » montre une tendance lorsque nous considérons les réactions de l’enfant face à la personne extérieure à la famille. Les enfants plus âgés réagissent plus face à cet adulte.

Ainsi, lorsque nous considérons la communication de façon globale, l’hypothèse présentée selon laquelle « plus l’enfant est handicapé et plus la mère est dynamique et directive pour combler le déficit de son enfant » n’est pas démontrée. Mais si nous considérons la fréquence des interactions, nous observons que la mère réagit toujours plus par rapport à l’enfant (tous les enfants confondus).

Lorsque nous comparons chacun des groupes d’enfants, nous observons que la mère est plus dynamique et directive avec le groupe d’enfants « déficients visuels ». Cependant, lorsqu’un autre déficit est ajouté à la déficience visuelle, alors la fréquence des interactions diminue beaucoup et ainsi le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé » se retrouve placé en dernière position. Le groupe d’enfants « standards » se trouve placé en second.

Ainsi, l’hypothèse selon laquelle « plus l’enfant est handicapé et plus la mère est directive et dynamique pour combler le déficit de son enfant » ne se vérifie pas. En effet, dans notre étude, les interactions avec le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé » sont les moins dynamiques et la mère est la moins directive comparée au groupe d’enfants « déficients visuels » sans handicap associé.

Ces résultats vont à l’encontre des études de Kekelis et Andersen (1984) qui indiquaient que les mères des enfants « déficients visuels » sont plus directives (toutes les mères des enfants de notre étude réagissent plus face à leur enfant que ce dernier ne le fait). Ils vont aussi à l’encontre des études de Rogers et Puchalski (1984) qui indiquent que le discours des mères est plus pauvre envers leur enfant. Fraiberg (1974) et Rowland (1984) ont montré aussi que ces enfants étaient moins actifs avec leur mère, ce qui n’est pas le cas avec les enfants de notre étude (lorsque nous les comparons avec les deux autres groupes d’enfants)

Lorsque nous considérons les interactions avec les enfants « déficients visuels », nos résultats aussi se sont inversés par rapport aux études de Rowland (1984). Ce dernier montrait que les interactions étaient de moins bonne qualité. Notre étude montre une meilleure communication avec le groupe d’enfants « déficients visuels » (côté enfants et côté adultes). Cependant, nous observons que, lorsqu’un autre déficit s’ajoute à ce handicap visuel, la qualité de l’interaction diminue considérablement. Ainsi, la communication avec le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé » devient la plus pauvre et ce groupe d’enfants se situe en dernière position lorsque nous analysons la qualité de la communication.

A la lumière de nos résultats, nous pouvons nous poser deux questions :

  • Nous pourrions formuler la première question en ces termes : le poids du handicap est-il trop important lorsqu’un autre handicap vient s’ajouter au déficit visuel ? L’adulte renonce-t-il et abandonne-t-il devant ce handicap trop lourd ? Résignation et dépression font-elles alors partie de la communication mère-enfant ?
  • La deuxième question pourrait au contraire se situer sur un plan plus optimiste : la mère aurait-elle accepté ce handicap et mis en œuvre des mécanismes d’adaptation ? Ainsi, calquerait-elle ses interactions sur son enfant, sans rien brusquer et s’adapterait à lui pour une meilleure communication.
  • Une troisième question concerne les réactions de l’enfant. En effet, d’un point de vue global, nous n’avons pas trouvé de différences significatives entre les enfants (qu’ils soient « standards », « déficients visuels » ou « déficients visuels avec un handicap associé ») mais lorsque nous considérons la communication en détail (comme nous l’avons fait plus loin dans la recherche dans les différentes phases du protocole), nous remarquons que la différence est marquée lorsque nous passons d’une phase (phase 1 où le « jeu est normal ») à l’autre (phase 2 où la consigne est censée entraîner une stimulation plus forte sur l’enfant). Ainsi, dans ces contextes, nous avons perçu des différences significatives entre les groupes d’enfants. En effet, avec les groupes d’enfants « standards » et « déficients visuels », l’effet de consigne était visible (le nombre d’interactions augmentait dans la phase 2, face au père et face à la mère, mais pas avec la personne extérieure à la famille). En revanche, avec le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé », le nombre d’interactions chutait dans la phase 2 par rapport à la phase 1. Ainsi, un biais expérimental existe lorsque nous passons d’une situation globale (les trois phases d’interactions ensemble) à une situation détaillée avec des différences entre les consignes (jeu libre/échanges actifs). Ainsi, les trois phases analysées de façon globale semblent « gommer » les différences entre les enfants mais lorsqu’elles sont analysées l’une après l’autre, nous trouvons des différences significatives entre les groupes d’enfants.