3.4.6. Cinquième objectif de l’étude

Notre cinquième objectif était de déterminer quels modes de communication de l’émetteur entraînaient, en moins de trois secondes, tels modes de communication chez le récepteur. Ainsi, nous avons admis que les fonctions de la communication seraient différentes selon le statut du partenaire (adulte ou enfant) et nous avons postulé l’hypothèse que la fonction phatique serait plus particulièrement modifiée chez la mère, par rapport au père et à la personne extérieure.

Pour valider notre hypothèse, nous avons analysé chaque phase du protocole (la phase 3 exceptée), d’abord tous les enfants confondus, ensuite groupe par groupe et enfin individuellement.

Cette recherche entre dans le cadre des études actuelles qui envisagent le bébé et son entourage engagés dans un processus bidirectionnel où le bébé n’est pas seulement soumis aux influences de cet entourage mais est aussi à l’origine de modifications tout à fait considérables de celui-ci. Le modèle « interactionniste et systémique » aide à comprendre l’enchaînement complexe de processus bidirectionnels entre les partenaires de l’interaction. Dans ce phénomène dynamique existe une influence réciproque entre les acteurs, une réciprocité ainsi qu’une interdépendance. Ainsi, la conception de la relation mère-bébé (mais aussi père-bébé et personne extérieure-bébé) est modifiée et il ne s’agit plus de concevoir la relation sur un mode de causalité linéaire ou d’une addition de facteurs maternels (paternels, personne étrangère) et de facteurs liés à l’enfant comme cela était le cas dans des recherches antérieures.

Dans l’analyse globale des enfants, pour chaque phase de protocole, nous observons que les adultes et les enfants réagissent en priorité sur le mode kinesthésique. Les modes de communication des adultes en réaction aux comportements des enfants sont plus variés et plus riches avec la mère (comparés avec les comportements des enfants et les comportements de la personne extérieure à la famille). En effet, la mère communique sur les modes kinesthésique, toucher, verbal (dans les deux premières phases du protocole) et regard (tous les modes sont observés dans la phase quatre). Ce résultat valide notre hypothèse et nous observons que les enfants réagissent aux divers modes de communication des adultes sur le mode kinesthésique et aussi par le regard (dans les phases 2 et 4 du protocole avec leur mère et dans la phase 1 avec la personne extérieure à la famille) ; les autres modes de communication ne sont pas observés.

Cette recherche est en accord avec les travaux précédents. En ce qui concerne les interactions corporelles, Ajuriaguerra (1970) évoque un ensemble de jeux corporels qui s’organisent. Elle parle de « dialogue tonique » permettant des ajustements corporels interactifs entre l’enfant et sa mère. Les interactions visuelles ont été, entre autres, abordées par winnicott (1975) qui introduit la notion de « miroir » et ainsi le regard est un organisateur qui fonde la première relation d’objet. Les interactions vocales sont aussi un organisateur entre la mère et son enfant qui sont importantes pour l’harmonisation de la relation. Ainsi, Bowlby (1969) évoquaient déjà que les interactions vocales jouent un grand rôle dans l’attachement, comme une sorte de « cordon ombilical acoustique ». Des recherches de Bruner (1983) ont montré que l’acquisition du langage est fondamentalement basée sur les processus d’interaction mère-nourrisson. Selon cet auteur, la mère et le bébé sont, dès la naissance, engagés dans des « tâches réalisées conjointement » : allaitement, jeu, exploration d’un objet, etc. Avec le temps, la structure de ces tâches s’enrichit d’une série de conventions qui impliquent les deux partenaires et qui pourraient modeler celle de la grammaire initiale.

Dans l’analyse des groupes, lorsque nous considérons chacune des phases, nous observons que :

Dans la phase 1 du protocole, les enfants « déficients visuels avec un handicap associé » ne réagissent face à leur mère qu’en mode kinesthésique. Leur mère en fait autant ainsi que la personne extérieure à la famille.

Dans le groupe d’enfants « déficients visuels » avec les trois pères, la communication est très riche et variée. Le père récepteur répond sur les quatre modes de communication. Avec la personne extérieure, kinesthésie et regard sont les modes de communication privilégiés autant du côté de l’adulte que du côté de l’enfant. Avec la mère, les modes de communication privilégiés sont la kinesthésie, le toucher et le verbal. Le regard de l’enfant émetteur entraîne aussi le toucher de la mère récepteur.

Avec le groupe d’enfants « standards », la mère réagit sur les quatre modes de communication à la kinesthésie de l’enfant émetteur. Elle réagit aussi au regard de l’enfant émetteur. L’enfant récepteur réagit surtout sur le mode kinesthésique à la kinesthésie, le verbal et le toucher de sa mère émetteur. Il réagit aussi par le regard à la kinesthésie de sa mère émetteur. Avec la personne extérieure, l’enfant réagit à la kinesthésie de l’adulte émetteur sur les modes kinesthésique et regard. En revanche, l’adulte récepteur réagit sur le mode kinesthésique à la kinesthésie et au regard de l’enfant émetteur.

Dans la phase 2 du protocole, lorsque nous comparons ces trois groupes d’enfants, nous observons que :

Dans le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé », les adultes seuls (mère et personne extérieure) réagissent à la kinesthésie de l’enfant émetteur, la mère par le toucher et la personne extérieure par la kinesthésie.

Dans le groupe d’enfants « déficients visuels », les mères en récepteur réagissent sur les quatre modes de communication à la kinesthésie de leur enfant. Elles réagissent aussi au regard de l’enfant par de la kinesthésie et le toucher. Les enfants en récepteurs réagissent par la kinesthésie (à la kinesthésie, le verbal, le toucher de leur mère) et le regard (à la kinesthésie de leur mère). L’enfant récepteur avec son père réagit comme avec sa mère (kinesthésie et regard). Le père récepteur réagit comme la mère face à son enfant, mais le regard n’est ici pas présent. Avec la personne extérieure à la famille, l’enfant en récepteur ne réagit que sur le mode kinesthésique face au regard et à la kinesthésie de l’adulte émetteur. L’adulte récepteur réagit à la kinesthésie de l’enfant émetteur sur les modes kinesthésique et regard.

Dans le groupe d’enfants « standards », l’enfant récepteur réagit sur les modes kinesthésique et regard à la kinesthésie et au toucher de sa mère. Les mêmes modes de communication (kinesthésie et toucher) se retrouvent chez la mère émetteur et récepteur. Avec la personne extérieure, seul le mode kinesthésique se retrouve chez les partenaires (émetteurs et récepteurs).

Lorsque nous analysons la phase 4 du protocole, nous observons que :

Dans le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé », la dynamique de l’interaction se produit seulement en réaction à la kinesthésie du partenaire (tous les acteurs confondus) sur le mode kinesthésique. Seule la mère réagit aussi sur le mode toucher face à la kinesthésie de son enfant.

Avec le groupe d’enfants « déficients visuels », la mère (émetteur et récepteur) communique sur les quatre modes de communication. L’enfant récepteur communique surtout sur le mode kinesthésique face aux quatre modes de communication de la mère. Le regard aussi est utilisé face à la kinesthésie de la mère.

Face à la personne extérieure, l’enfant réagit sur les modes kinesthésique et regard face au regard de l’adulte émetteur. La kinesthésie de l’émetteur (personne extérieure) entraîne la kinesthésie de l’enfant récepteur. L’adulte récepteur réagit sur les modes regard et kinesthésique face à la kinesthésie de l’enfant.

Face au père, le mode kinesthésique est privilégié entre les deux partenaires (émetteurs et récepteurs). Le père, en récepteur, réagit aussi par le regard à la kinesthésie de son enfant.

Avec le groupe d’enfants « standards », les enfants récepteurs réagissent majoritairement sur le mode kinesthésique à la kinesthésie, au toucher et au verbal de la mère émetteur. Le mode regard aussi suit la kinesthésie de l’adulte mère émetteur. La mère récepteur réagit sur les quatre modes de communication à la kinesthésie de l’enfant. Le mode regard de l’enfant entraîne aussi la kinesthésie de l’adulte récepteur.

Face à la personne extérieure, le mode kinesthésique est privilégié chez les récepteurs (enfant et adulte). L’adulte émet et reçoit aussi sur le mode regard.

Ainsi, nous pouvons remarquer que le mode de communication privilégié avec tous les groupes d’enfants est la kinesthésie, que ce soit côté récepteur ou émetteur. Mais avec le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé », ce mode de communication est souvent le seul que nous avons repéré entre les acteurs des interactions survenant dans les 3 secondes à partir de l’émetteur. La mère réagit aussi par le toucher dans les phases 2 et 4 du protocole.

Avec la personne extérieure, les modes de communication sont surtout la kinesthésie (avec tous les groupes d’enfants). Avec le groupe d’enfants « déficients visuels », l’adulte réagit par le regard dans toutes les phases du protocole.

Les mères des groupes d’enfants « standards » et « déficients visuels » sont très réceptives à leur enfant. Les modes de communication sont très variés.

Les pères du groupe d’enfants « déficients visuels » entraînent une communication très riche (surtout dans la phase 1 du protocole) et variée.

Lorsque nous tenons compte des âges des enfants dans chaque groupe, nous observons que :

Nos résultats concernant le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé » vont dans le sens des recherches qui montrent que lorsque les interactions par le mode visuel ne peuvent s’établir entre un enfant aveugle et son environnement humain, ce sont les autres modalités sensorielles qui semblent se développer comme pour combler les déficits qui en découlent. Les recherches d’Abécassis, Bulle et Elbaz (1997) concernent, entre autres, la modalité tactile. Ainsi, les stimulations tactiles constituent « un dialogue tonique » entre l’enfant et son partenaire. Par elles se forment les modèles internes opérants (internal working models de Bowlby) qui sont les résultats de l’interaction entre des modèles de comportements sociaux du bébé et ses formes d’attachement. Ainsi, la communication avec le groupe d’enfants « déficients visuels avec un handicap associé » suit la direction de ces recherches et montre l’importance de la modalité tactile.