2. Perspective d’analyse

Dans le domaine de l’analyse des interactions verbales, les recherches et les études qui ne cessent de se développer ont mis en évidence deux points assez importants. D’une part ils montrent un croisement et un lien étroit qui se créent entre certaines disciplines des sciences humaines, telles que la linguistique, la sociologie, la psychologie…. Ce croisement des disciplines est indispensable pour comprendre les échanges dans toute leur complexité. Comme le souligne Kerbrat-Orecchioni :

‘« Je serai personnellement tentée de dire que cette discipline nouvelle se situe en quelque sorte à cheval sur deux domaines : l’analyse du discours d’une part, et d’autre part, l’étho-psycho-sociologie des communications – posture que l’on peut trouver inconfortable, mais que l’on peut aussi préférer à l’enfermement dans un champ disciplinaire soigneusement balisé. » (1990 : 48)’

D’autre part l’étendue de ce domaine laisse le choix et le plaisir de la découverte aux chercheurs mais elle présente aussi une complexité 2 d’analyse à différents niveaux qui est loin d’être négligeable.

Malgré le caractère pluridisciplinaire de l’étude des interactions verbales, l’orientation de notre recherche est de nature linguistique plus qu’« étho-psycho-sociologique ».

Tout entretien en face à face entre au minimum deux personnes peut être considéré comme une interaction verbale. Pour Gumperz il s’agit d’une « activité de coopération », qui demande la présence et la participation d’au moins deux interactants :

‘« […] l’interaction verbale est une activité de coopération nécessitant une coordination active de mouvements de la part d’au moins deux participants ; quelles que soient l’action, l’interprétation ou l’information produites, celles-ci ne dépendent pas de manière univoque de signes verbaux et non verbaux, mais se constituent autour de cet échange interactif organisé en séquences. » (1989 : 126).’

Actuellement, un certain nombre d’études et de recherches qui se font dans le domaine de l’analyse des interactions sont orientées vers une perspective interculturelle 3 . Traverso (1999 : 92) propose de parler d’études de « situations intraculturelles » et de « situations interculturelles 4  ». Comme nous l’avons mentionné ci-dessus les interactions verbales sont déterminées par des règles, que chaque individu applique tacitement, et de façon appropriée, lors d’un échange. Ces règles sont sociales et propres à chaque société et à sa culture spécifique, ce qui explique le comportement différent des individus de cultures différentes. Cette différence et cette variation se manifestent dans tout le comportement humain, qu’il soit verbal ou non verbal, implicite ou explicite.

Les chercheurs qui abordent les questions interculturelles adoptent une des deux approches utilisées pour l’analyse du fonctionnement et du comportement interactionnel dans deux ou plusieurs cultures. Elles consistent :

  1. Soit l’étude d’une situation d’échange interculturel proprement dit, telles les interactions exolingues dans laquelle les participants ne partagent pas la même langue maternelle.
  2. Soit la comparaison de deux types d’interaction de même nature mais relevant de cultures différentes.

C’est dans la perspective d’une approche comparative et interculturelle appuyée sur la linguistique interactionniste et l’analyse conversationnelle que se constitue notre objet d’analyse d’interactions dans des petits commerces à partir de quatre corpus audio enregistrés en France et au Liban 5 . La comparaison se fonde sur une analyse pragmatique des interactions. Ces interactions, qui se déroulent dans des situations similaires, ont lieu dans des cultures différentes, et le but de la recherche est non seulement de mettre en lumière les différences et les similitudes des comportements langagiers de part et d’autre, mais également de révéler certains des fonctionnements interactionnels si fortement intériorisés qu’ils en deviennent invisibles 6 .

Il s’agit de pouvoir décrire les fonctionnements interactionnels des participants (essentiellement les clients et les commerçants mais aussi toute autre personne qui se trouve pour une raison ou une autre présente dans ce lieu) lors de leurs échanges et de dégager, entre autres, les aspects rituels qui caractérisent ce type d’interaction.

Nous tenons à préciser que sur le plan linguistique, l’utilisation de l’expression “parler libanais” désigne le comportement et les caractéristiques langagières de ce pays. Les pays arabes sont unis par une langue traditionnelle qui est la langue arabe, langue du Coran, qui, par ailleurs, a évolué et a formé différents parlers et dialectes propres à chaque pays. Ce point met l’accent sur un autre problème qui est la pluriglossie 7 de la langue arabe. Outre la différence dans les parlers arabes, la culture de chaque pays arabe lui est bien particulière. Certaines ressemblances culturelles entre les pays peuvent apparaître en raison de leur histoire et de leur proximité géographique. Dans cette étude les interactions analysées sont propres au Liban, au dialecte arabe libanais.

Notes
2.

Ce point sera élucidé et détaillé au cours de cette recherche.

3.

Ce point fera l’objet d’un chapitre de la thèse.

4.

Nous soulignons la différence qui existe entre une étude de situations interculturelles vs intraculturelles comme le précise Traverso, une étude de situations intraculturelles, « […] consiste à décrire les comportements interactionnels à l’intérieur de deux cultures différentes afin de les comparer » et une étude de situations interculturelles, « […] repose sur l’idée que les différences existant dans les comportements interactionnels d’individus appartenant à des cultures différentes sont observables lors de leurs rencontres où elles risquent, dans bien des cas de donner lieu à des « malentendus interculturels. » (1999 : 92-93)

5.

Il s’agit d’un dialecte arabe, le dialecte libanais.

6.

Voir à ce propos Raymonde Carroll (1987).

7.

Voir sur ce point Dichy (1994).