1. De l’acquisition d’une langue à l’enseignement de la grammaire:

Avant de commencer notre étude, nous tenons à définir quelques termes-clés que nous utiliserons pour éclairer l’étendue de notre sujet.

1.1 L’acquisition d’une langue en général:

L’acquisition est un phénomène auquel il est bon de s’intéresser avant d’entamer une réflexion sur la grammaire car elle est l’objectif suprême visé lors de l’apprentissage d’une langue.
La recherche qui y est consacrée, est particulièrement active depuis les années 60. Corder (1967, 1971, in : Matthey : 2003 : 9) associe cette époque ‘«’ ‘ au déplace­ment du regard de l’enseignement/apprentissage des langues étrangères vers le processus d’acquisition de celles-ci ’ ‘»’. Mais à ce jour, elle est encore freinée par de nombreu­ses questions qui demeurent sans réponse. Ces obstacles sont dus au fait qu’il est scientifiquement difficile de connaître avec précision le fonctionne­ment du cer­veau humain au cours de l’acquisition.
Nous proposons maintenant de faire le point sur ce que les recherches sur l’acquisition ont apporté jusqu’à nos jours.
Avant toute considération, nous nous devons de distinguer les concepts d’acquisition et d’apprentissage. Bange parle pour l’apprentissage d’acquisition potentielle (Bange : 1992 : 54). Nous tenons à compléter cette défi­nition par la conception des mentalistes sur ce point : l’apprentissage est toujours explicite et conscient, contrairement à l’acquisition.

Cette précision faite, nous pouvons désormais nous consacrer uniquement à l’acquisition.
D’un point de vue psychologique, l’acquisition implique l’appropriation (Bange : 1992) inconsciente par un sujet/apprenant 1 d’un sa­voir externe ou déclaratif 2 in­culqué par un expert le maîtrisant parfaitement. Ce savoir à apprendre 3 devient l’input lorsqu’il est transmis au sujet par un expert sous une certaine forme, puis il devra être pris en retour par le sujet, donnant ainsi lieu à un intake. Le sujet adap­tera plus ou moins cet intake de différentes maniè­res, en le simplifiant ou en le personnalisant par exemple. Des chercheurs tels Gaonac’h (1984, in : Matthey : 3) prennent position en faveur de processus qu’ils désignent par les termes de « sélection » , « traitement », « stockage » et « récupération de l’information ».
La plupart des recherches scientifiques ne présentent aucune certitude sur ces pro­cessus cognitifs, cependant nous souhaitons exprimer notre point de vue.

Tout comme Anderson, nous sommes d’avis que le sujet se construit lui-même une règle procédurale « de construction approximative au regard de la norme » (Anderson, in : Bange, Carol et Griggs : 2003 : 13). Cette construction se base également sur le savoir externe inculqué par l’expert et reçu par le sujet ainsi que sur des procédures générales de résolution de problèmes. Elle vise à traduire en action les règles opaques de signification telles qu’elles sont présentées par les didacticiens et les enseignants, sous la forme d’une nouvelle règle. Anderson (1983, in : Carol, Griggs et Bange) parle aussi de règles cognitives ou de rè­gles de production qui sous-tendent les actions directement observables. Il tra­duit cette règle par la formule suivante :  « Si X, fais Y », X étant le but et les conditions de l’action ; Y indiquant l’opération cognitive à effectuer pour attein­dre ce but (idem). Pour préciser les termes de cette formule, on peut rappeler la défini­tion suivante apportée par Anderson lui-même (1996 : 245 ; in : Bange, Carol et Griggs : 2003 : 7) :

‘Toute règle de production se compose d’une condition qui décrit quand elle doit être appliquée et d’une action qui décrit ce qui doit être fait. ’

A la suite d’une phase plus ou moins longue d’apprentissage explicite, de règles procédurales mûries et peut-être plusieurs fois reformulées puis de mémorisation alimentée de tentatives plus ou moins fructueuses de tester l’acquisition, le sujet obtiendra un savoir interne proche de la norme. L’acquisition sera ensuite optimi­sée dès que le savoir sera devenu opérationnel, c’est-à-dire ne sera plus un savoir déclaratif mais bien un savoir-faire transposable par le sujet dans d’autres situa­tions, ceci étant permis par ‘«’ ‘ l’automatisation des processus de traitement de l’information sélectionnée au départ ’ ‘»’ (Gaonac’h : 1984 : in : Matthey : 2003 : 3). Comme en témoigne cette présente description de l’acquisition, il nous semble légitime de supposer comme les constructivistes tel qu’Anderson, mais contraire­ment aux mentalistes tel que Krashen, qu’il y a bien des articulations entre ap­pren­tissage et acquisition même si les deux concepts semblent s’exclure au départ de leur parcours cognitif respectif.

Notes
1.

Nous parlerons de « Sujet » pour l’acquisition en milieu naturel et d’ »Apprenant «  en milieu institutionnel.

2.

Ici la langue-cible

3.

Désormais Objet d’acquisition