A la suite de ces considérations sur l’acquisition, nous pouvons nous demander s’il est possible d’acquérir une langue étrangère
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selon les mêmes principes qu’une L1.
Pour répondre à cette interrogation, il nous faut considérer :
l’âge du sujet : le sujet adulte 7 peut consciemment effectuer des transferts entre les deux systèmes. La phase d’acquisition de la L1 pouvant être considérée comme achevée, cette langue constituera un soutien et la source la plus accessible. Ainsi, ce sujet peut étendre à la L2 :
les principes (Chomsky : 1981, in : Matthey : 2003) qui représentent des connaissances linguistiques et des « catégories cognitives » (Klein : 1989 : 15) généralisables pour l’apprenant/sujet de la L1 à la L2. On pourra citer, par exemple : la division principale des temps en passé, présent, futur. Cependant, l’apprenant devra acquérir les paramètres (Chomsky) de la L2 qui sont à l’origine de la variation formelle entre la L1 et la L2 de l’apprenant/sujet. Dans la perspective de la justification de l’apprentissage, Matthey (2003 : 13) ajoute :
‘On considère que l’enfant doit « fixer » les paramètres pour une langue donnée, en fonction de principes vierges, en quelque sorte, alors que l’adulte qui apprend une seconde langue [ici L2] doit «refixer » les paramètres de la langue-cible, en s’appuyant sur l’accès partiel à la grammaire universelle dont il dispose encore au moins partiellement. ’Ce mécanisme nommé « grammaire universelle » est défini par Rizzi (1989, in : Matthey : 2003 : 13) comme « une théorie des mécanismes linguistiques, biologiquement prédéterminés » ;
leurs connaissances extralinguistiques liées au contexte par exemple ;
leurs connaissances du monde qui peuvent aider à comprendre l’énonciation et à émettre des hypothèses.
L’apprentissage d’une L2 chez les adultes se fera donc sur cette base majoritairement stable qu‘est la L1. Py parle même de répertoire unique qui renfermerait les connaissances de la L1 et de la L2 avec l’interlangue (Py : 1991) 8 .
les capacités métacognitives du sujet : il s’agit aussi de différences en terme de « développement bio-psychologique » entre l’enfant et l’adulte (Besse et Porquier : 1991 : 91). En effet, un adulte qui apprend une L2 a beaucoup plus de recul réflexif et métalinguistique sur cette langue-cible, car il est capable d’intégrer des données abstraites et conceptuelles à son apprentissage. L’enfant, au contraire, apprend sa L1 en même temps qu’il approfondit le développement de son système cognitif (Klein : 1989 : 15) et il bénéficie le plus souvent des stimulus présents dans son environnement pour construire son langage. Il n’a donc pas besoin de conceptualisation avant d’utiliser une nouvelle structure de façon autonome. On pourra citer pour exemple l’emploi correct du futur par un enfant de quatre ou cinq ans entendu par hasard dans le TGV : « Maman, quand le train rentrera, le monsieur, il sifflera ? ».
Cependant les recherches n’apportent pas davantage d’informations sur les différences cognitives dans l’acquisition des deux langues : il faudrait là encore « ouvrir la boite noire » ou que les troubles du langage soit plus transparents. Cependant, des informations d’un autre type peuvent parfaitement être identifiées :
l’environnement spatio-temporel : il ne faut pas nier non plus que les situations d’apprentissage les plus fréquentes en L2 ont lieu en salle de classe, ce qui n’est pas propice à une identité entre les conditions d’apprentissage de la L1 et de la L2. En effet, il s’agit d’un cadre contraint et limité en temps : cours tel jour, telle heure. De plus, toutes les activités de la classe ont indirectement une connotation évaluative 9 et l’on y utilise la langue davantage comme cible que comme moyen pour atteindre une cible. En outre, l’acquisition de la L2 est très souvent liée à une fonction sociale très forte : s’intégrer dans un groupe social et/ou professionnel ou répondre à une contrainte scolaire : apprendre au moins deux langues jusqu’au secondaire. Pour la L1, par contre, Bange (1992 : 54 ) parle ‘«’ ‘ d’ascension progressive au statut de sujet cognitif et de partenaire social ’ ‘»’.
Py ajoute aussi en rapprochant l’acquisition de la L2 du bilinguisme que ‘«’ ‘ l’enrichissement du répertoire linguistique de la L2 ’ ‘»’ peut non seulement apporter des modifications à l’interlangue de la L2 mais aussi à la L1 elle-même (Py : 1991 : 150).
A travers ce chapitre, nous avons pu observer de multiples différences entre l’apprentissage de la L1 et de la L2, ce dernier étant plus tardif et plus encré dans la société et ses conventions strictes que le premier. Cependant, les différences dues au système cognitif de l’homme sont loin d’être totalement expliquées.
Désormais L2
Nous incluons dans cette catégorie les sujets adolescents qui représentent la majorité des sujets apprenant une L2. Pour cette raison, nous consacrerons une certaine partie de ce chapitre à la différence entre l’acquisition d’une L1 chez les enfants et d’une L2 chez les adultes.
Nous ne tenons pas compte ici des enfants bilingues.
Voir chapitre 1.2.1-3ème point