1.2.1 Le rôle de l’enseignant :

L’enseignant fait non seulement figure d’expert maîtrisant le savoir, fonc­tion que nous avons déjà mentionnée, mais dans le cadre de l’acquisition guidée, s’ajoutent à cette fonction principale des éléments bien particuliers :

l’enseignant met en place des ‘«’ ‘ stratégies de soutien aux processus d’acquisition des apprenants ’ ‘»’ (Bange : 1992 : 69), presque systémati­ques qui :

‘articulent une série d’actions en vue de trouver un chemin qui conduise au but re­cherché. Un ap­prentissage est la construction de ces actions et de ces stratégies qui permettent de résoudre des problèmes simples ou complexes ’

Ces stratégies constituent une forme de collaboration avec l’apprenant ou d’aide dans ses différentes tâches 10 , ce que Bruner, quant à lui, nomme Etayage. Klein parle à ce propos ‘«’ ‘ d’intervention systémati­que pour guider le processus d’acquisition ’ ‘»’ (1989 : 34). Il s’agit donc pour l’enseignant de laisser à l’apprenant des responsabilités et l’initiative dans les choix linguisti­ques qu’il devra faire. Selon la dif­ficulté de la tâche et l’état de l’interlangue de l’apprenant, l’enseignant peut égale­ment aider ce dernier de différentes manières et le soulager en prenant en charge une partie ou l’intégralité de la tâche si elle présente trop de difficultés. Ces méthodes favorables aux pro­cessus d’acquisition se prolongent jusqu’à atteindre, tout comme en milieu naturel, ce que Vy­gotsky appelle la zone proximale de déve­loppement, définie par le psy­cholinguiste lui-même comme étant :

‘la capacité de l’apprenant à franchir le pas qui lui permettra de passer de sa pro­pre formulation spontanée à celle que lui propose son interlocuteur  (Vygotsky : 1935, in : Py : 1991 : 155).’

Dans une salle de classe où le pilier demeure l’interaction, condition so­ciale de l’apprentissage de la communication, la participation et l’engagement dans la communication des deux partis, enseignants et apprenants, est très inégalitaire, en­core plus que dans la conversation exolingue. Bange parle d’une séquence d’élicitation (Bange : 1992 : 70) en trois temps : « initiative », « réplique » et « évaluation ». Nous pen­sons que l’interaction entre enseignants et apprenants est le plus sou­vent initiée par l’enseignant lui-même. A la fin d’une séance de cours, l’interaction finit toujours par revenir à lui. Quelque soit le temps et les activités des appre­nants entre la phase d’initiative et la ré­plique puis quelque soit le nombre de ré­pliques, il est indéniable que l’interaction est toujours menée par l’enseignant (de près ou de loin, même dans le cas de travaux de groupe ou de correction par les pairs). Ce dernier reste, en effet, le détenteur du savoir et le seul à pouvoir éva­luer la conformité de la production finale des apprenants avec la production correcte, même si les apprenants peuvent pré-conceptuali­ser, c’est-à-dire émettre des hypothèses sur le savoir en son absence. L’article de Bange, Carol et Griggs (2003 : 8) s’inscrit d’ailleurs dans cette pers­pective en affirmant que :

‘l’enseignement est la forme que revêt le LASS (Language Acquisition Support System) [ de Bru­ner ] dans l’institution scolaire [présent en milieu naturel à tra­vers les interactions communicati­ves]. Et l’enseignant est l’agent institutionnel du LASS.’

Les phases préliminaires, intermédiaires et finales de l’apprentissage d’un fait de L2 s’achève toujours par une évaluation, ‘«’ ‘ jugement sur l’adéquation de la réplique à l’initiative ’ ‘»’ (Bange : 1992 : 70 ). Elle contrôle la décision de ce jugement. Si ce der­nier est négatif, l’évaluation se poursuit avec l’extension de la séquence d’élicitation, le déploiement éventuel de stratégies diverses, oriente et organise l’ensemble du cours. Ainsi nous pouvons comparer l’évaluation à un outil de ré­gulation du nouveau savoir en cours d’apprentissage. L’évaluation a une seconde fonction : contrôler la conformité de la pro­duction des apprenants avec la langue-cible, à savoir avec la norme de la langue-cible, même dans le cas d’une produc­tion visant à com­muni­quer, contrairement à l’acquisition en milieu naturel (Bange : 1992 ). Nous sommes d’ailleurs convaincus qu’encore aujourd’hui, à l’heure du succès de l’approche notionnelle-fonctionnelle, le but de l’enseignement d’une L2 et surtout les pratiques des enseignants res­tent encore aujourd’hui majoritairement orientés vers l’acquisition de la langue en tant que système linguistique et non comme outil de commu­nication se basant sur l’interlangue de l’apprenant, même si ce dernier ne dispose que de moyens rudi­mentaires pour communiquer. En 1992, Bange écrivait d’ailleurs dans la même perspective:

‘L’apprentissage de L2 consiste dans le développement de l’interlangue en direc­tion d’une ap­proximation de plus en plus grande de la norme de la langue-cible (Bange : 80). ’

Puis, dans un article plus récent destiné à la recherche, il ajoute (Bange, Carol, Griggs : 2004 : 2) :

‘La communication didactique apparaît donc comme une communication d’un type particulier dans lequel les moyens (linguistiques) se substituent à la fin (communicative) […] même les méthodes qui se veulent communicatives n’échappent pas à cette situation qui crée une contradiction fonda­mentale.’

Dans un autre article, Bange, Carol et Griggs (2003) parlent même de grammaticocentrisme des méthodes d’enseignement traditionnelles.
Krashen, qui, par ailleurs, occupe une position radicale au sujet de la place de la norme et de la communication avec l’enseignement des langues en immersion, (in : Klein : 1989 : 44) qualifie d’ailleurs le rôle des enseignants de « contrôleur » dans le sens de monitor, fonc­tion qui, en milieu naturel, est assurée par le sujet lui-même qui guide son pro­pre traitement linguistique et le modifie. On peut donc remar­quer qu’en milieu institutionnel, l’apprenant en vient donc à subir un double contrôle : le sien qu’il conserve, ajouté à celui de l’enseignant.

Notes
10.

dans le sens commun de : travail à faire