Autant pour les linguistes que pour les didacticiens, la compétence grammaticale et les pratiques langagières d’un locuteur natif pour comprendre et produire des messages dans sa propre langue maternelle représentent un idéal (Besse/Porquier : 1991).
L’enseignant peut viser cet idéal en transmettant à son public-apprenant des données langagières et des règles à partir desquelles l’apprenant va réaliser seul un travail cognitif d’appropriation de ce savoir qui lui aura été fourni. Besse et Porquier parlent à ce propos d’intériorisation de la grammaire (idem). Nous allons mettre à jour à travers l’argumentation suivante dans quelle mesure ce terme impliquant un processus pas tout à fait conforme à ce qui semble se passer réellement chez l’apprenant de L2 s’avère en réalité discutable.
Dans un premier temps, il s’agit de se demander ce que les apprenants s’approprient
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en grammaire. Vigner (2004 : 102) répond à cette question en soulignant la diversité des matériaux soumis à cette acquisition. Il s’agit, en effet, de :
Dans un deuxième temps, il est nécessaire de se demander en quoi cette appropriation chez l’apprenant de L2 est comparable à celle de l’enfant qui apprend sa L1. Il s’agit, en fait, pour l’apprenant de L2 de se doter d’une intuition linguistique définie comme :
‘un outil qui lui permettra de poser des jugements d’acceptabilité, de grammaticalité sur tel ou tel énoncé sans que ces jugements se fondent sur un savoir explicité (Idem). ’Cependant, il est nécessaire de se poser la question de savoir si l’apprenant de L2 acquiert cette intuition de la même façon que les apprenants de L1. A ce propos, pour acquérir ces règles, c’est-à-dire les automatiser et en faire des réflexes, l’apprenant de L2 n’intériorise pas ces règles inculquées par l’extérieur, à moins d’être bilingue de naissance ou dans l’usage. Ce terme d’intériorisation devrait donc être réservé uniquement aux apprenants de L1, contrairement à ce que font Besse et Porquier. En effet, il semble impliquer un processus à la fois unique, définitif et relativement aisé. On peut effectivement observer que l’enfant apprenant sa L1 intériorise les règles de son entourage sans passer par la réflexion. Ayant une histoire linguistique différente 16 , l’apprenant de L2, quant à lui, est obligé d’avoir recours à une autre approche et donc de passer par un certain recul réflexif sur le nouveau système à s’approprier. A ce raisonnement, on peut ajouter la théorie de Candelier et Gnutzmann (in : Place de la grammaire :1989 : 102) sur ce qu’ils appellent la conscience linguistique en L2 par rapport à la L1 :
‘La conscience linguistique acquise par un enfant dans sa L1 est déjà développée de façon multiple au moment de l’apprentissage d’une L2 et l’on ne peut absolument pas négliger ce fait au cours du processus d’apprentissage de cette L2. ’Pour les apprenants de L2, nous parlerons donc plutôt de grammaticalisation (Vigner : 2004) : c’est-à-dire non pas [dans le sens] d’enregistrer le bagage langagier [inculqué] sous forme d’un répertoire figé des énoncés reçus mais d’analyser grammaticalement les données langagières pour les classer et les stocker dans la mémoire. Ce travail de grammaticalisation sera, au cours du parcours d’apprentissage de l’apprenant, alimenté voire même parfois remis en cause par la grammaticalisation d’autres données, conformément à la définition de l’apprentissage de Bourguignon/Candelier (1988 : 21: in : Place de la grammaire :1989 : 120):
‘Apprendre c’est faire des hypothèses à partir à la fois du connu et de ce que l’on perçoit du nouveau, afin soit d’intégrer ce nouveau dans le connu, soit d’aménager le connu pour qu’il puisse intégrer le nouveau. ’La succession des étapes de grammaticalisation fait ainsi progresser l’interlangue de l’apprenant et par là-même sa maîtrise de la langue-cible. Dans ce processus évolutif dénommé grammaire interne (Bange, Carol, Griggs), qui s’oppose à la grammaire externe, le professeur joue un rôle particulier :
il doit respecter le rythme de chaque apprenant, chacun ne grammaticalisant pas de la même façon. Besse et Porquier (1991) affirme qu’il doit connaître la grammaire intériorisée de l’apprenant, mais on peut noter ici que, pour reprendre notre concept, chaque apprenant a une grammaire interne différente ;
il ne doit pas fournir à l’apprenant un système grammaticalisé de la langue que l’apprenant pourrait suivre comme un modèle. Cependant, il peut essayer d’influencer cette grammaticalisation des règles de grammaire de la L2 en la favorisant par sa démarche.
Parallèlement, il faut noter qu’un des problèmes de la grammaire réside dans le fait que les apprenants ont souvent de :
‘la peine à transférer [les structures enseignées en classe et utilisées avec succès dans les exercices] sur une situation de communication authentique. [Les structures] ne laissent pas de trace dans le comportement verbal autonome qui semble se construire selon un système indépendant. Tout se passe comme si deux apprentissages distincts étaient effectués. (Carol, Griggs et Bange : 2004 : 1) ’Ainsi le savoir externe ne se transforme pas chez l’apprenant en savoir-faire investissable sans que la consigne ou l’enseignant intervienne pour faire le rapport entre la tâche à accomplir et un fait de langue précis dont le savoir déclaratif a été vu précédemment.
Dans la perspective de notre démonstration, on ne peut donc pas parler de décrire la grammaire intériorisée ni même de faire apprendre la grammaire intériorisée de la L2 aux apprenants comme le font Besse et Porquier d’un côté et Vigner
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de l’autre
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Nous emploierons pour l’instant ce verbe pour décrire le processus d’acquisition avant de s’arrêter sur le terme que nous retiendrons après l’argumentation.
Voir chapitre sur l’acquisition de la L1 versus d’une L2.
Même si ce dernier a tout de même développé des réflexions intéressantes autour de la question comme nous avons pu en relever quelques termes.
Même si nous avons relevé le point de vue de générativistes et de mentalistes sur certains objets d’acquisition, il est possible de constater que les points que nous avons développés sont bien plus l’apanage de réflexions développées par différents courants que par un seul courant. En effet, si le courant générativiste, par exemple, est à l’origine de réflexion enrichissante, il a tendance à faire de la langue en tant que forme et en particulier de la syntaxe son unique terrain d’étude