1.3.5.3 La séquence grammaticale en dehors de la grammaire :

Un phénomène, qui semble toucher la grammaire comme elle est tradi­tion­nelle­ment perçue, trouble cette conception très ancienne de la grammaire. Jusqu’à l’avènement de la méthodologie communicative au début des années 80, ‘«’ ‘ les des­criptions grammaticales avaient pour objectif de mettre en évidence le mode d’organisation du sens en mots et les règles par lesquelles ces mots pou­vaient être groupés en ensembles appelés Phrases ’ ‘»’ (Vigner : 2004 : 35).
En revanche, si l’on observe les cours de L2 tels qu’ils se présentent aujourd’hui, l’on constate que la grammaire ne se situe plus seulement autour de la règle gram­maticale et de sa traçabilité, comme nous l’avions relevé ci-dessus et que ‘«’ ‘ l’activité grammaticale ne se limite plus à la leçon de grammaire ’ ‘»’ (Idem). C’est ce que l’on peut constater dans la définition relevée ci-après de la compétence lin­guistique adoptée par le Conseil de l’Europe dans le Cadre européen de référen­ces (2003: 87) :

‘la connaissance des ressources formelles à partir desquelles des messages corrects et significatifs peuvent être élaborés et formulés et la capacité à les utili­ser. ’

La grammaire a donc changé de rang. Après avoir été érigée au premier rang dans la méthode grammaire-traduction puis boudée dans les méthodes suivantes, elle est revenue au second plan et demeure aujourd’hui au statut de soutien de la com­pé­tence communicative.
Nous allons maintenant présenter brièvement les traces de cette présence gram­maticale en dehors de la séquence grammaticale, ce qui revient à se demander où peut se situer la grammaire dans un cours de L2:

lors de toute tâche de production, l’enseignant peut aider l’apprenant à formuler son message conformément aux règles et aux conventions de la L2 et ce, au sein d’un étayage 32 qui offrira à l’apprenant un ensem­ble de procédés visant essentielle­ment une correction linguistique. On peut considérer cela comme un moment grammatical même s’il est court et inopiné par rapport à la programma­tion préalable du cours et même s’il ne fait pas forcément appel à la règle et à un travail d’explication qui correspondraient au problème posé. En effet, la réfé­rence à une règle mal appliquée pourra être implicite si l’enseignant choisit de mettre en évidence l’erreur pour donner l’occasion à l’apprenant de recourir à une autocor­rection. Cette mise en évidence pourra prendre plusieurs formes: interruption du flux communicatif, expression d’un problème par le langage corporel (surtout facial), la répétition de la production en in­sistant sur l’emplacement approxima­tif de l’erreur, etc. ;

Vigner (2004) s’interroge sur la place de l’orthographe dans la gram­maire en FLE. En effet, la langue française a gardé les traces de son histoire, c’est pourquoi se pose souvent le problème de l’homophonie : au moins deux morphèmes qui se prononcent et que l’on entend de la même façon mais qui s’orthographient diffé­remment lors du passage de l’oral à l’écrit. A ce propos, Vigner parle de la tra­duction graphique de faits [de langue] (13). Il faut ajouter la justification française à cela. La langue française a été fortement soutenue depuis le traité de Villers-Cot­terêts au XVIème siècle par une politique de défense et d’intégration forcée au­près du peuple français, dont certaines régions ne parlaient pas du tout cette langue au quotidien. La première arme de la France pour atteindre ce but a été avant tout l’école où fut imposée de façon très stricte la normalisation de la langue en passant par la va­lori­sation de la grammaire transmise par la haute so­ciété de l’époque et les Belles Lettres, notamment la littérature, que l’on considé­rait comme la source pure de la langue française. Ainsi cette tradition gramma­ticali­sante, comme l’appelle Vives (1989 : in : La place de la grammaire), influence les méthodes françaises d’enseignement de L2 francophone. D’après Vigner, c’est un phénomène politico-linguistique propre à la France, c’est pourquoi on retrouve une tradition gramma­ti­calisante beaucoup plus disparate dans les pays voisins tels que l’Angleterre et l’Allemagne ;

La présentation de l’input langagier n’est jamais anodine puisqu’elle vise toujours l’objectif de faire apprendre la L2 à l’apprenant. Vigner (104) prend l’exemple d’une méthode d’approche communicative qui, dans sa première leçon, propose un dia­logue de présentation de per­son­nages à priori culturellement et pragmatiquement usuel. Si l’on ob­serve ce support plus précisément, on remarque que l’input est orga­nisé même s’il n’y a pas dans un premier temps de lien concret avec une acti­vité grammaticale. Cette organisation a sans aucun doute pour but que l’apprenant puisse commencer à émettre des hypothèses et à gram­maticaliser la ou les nou­velles structures.

Notes
32.

Voir chapitre 1.2.1 1er point