1.3.7 La grammaire comme action sur la langue :

Nous allons rassembler ici ce que Besse et Porquier appellent Type de connais­sances grammaticales (1991).
Si l’on part de la définition du linguiste Ferdinand de Saussure de la langue, on pourra se rendre compte que la grammaire telle qu’elle est enseignée, laisse de côté la parole, qui est l’usage spontané et individuel que chaque locuteur fait d’une langue. En revanche, la grammaire fait de la langue le seul et l’unique objet d’apprentissage. Cette langue peut être définie comme toutes les possi­bilités lin­guistiques offertes aux locuteurs d’une langue pour utiliser cette der­nière. Elle est aussi l’empreinte déposée dans chaque cerveau par l’école, repré­sentative de tou­tes les connaissances linguistiques réparties entre les locuteurs de la communauté lin­guistique.
De plus, il ne faut pas omettre que cette langue est une institution sociale qui ré­unit un ensemble de conventions linguistiques et culturelles socialement établies. La grammaire enseignée distingue justement l’usage et l’emploi. Widdow­son qui in­troduit ces termes (in : Germain et Seguin : 1995 : 39) définit les règles d’usage comme celles qui ‘«’ ‘ permettent de produire des énoncés bien formés gram­matica­lement ’ ‘»’ et les règles d’emploi comme celles permettant de ‘«’ ‘ produire un énoncé conforme au contexte linguistique, à la situation de communication et à l’intention ’ ‘»’. Germain et Seguin soulignent que les deux devraient aller de paire, mais ce n’est pas toujours le cas en didactique des langues. En réalité, la gram­maire privilégie l’usage synonyme de la norme linguistique en vigueur dans la communauté.
La langue reste très normalisatrice aux dépens de la réalité linguistique. Cette dis­crimination peut se justifier par le fait que la réalité est parfois éphémère et liée à des modes langagières. Il faut également ajouter que la langue telle que les na­tifs la parlent vraiment au quotidien, est soumise à diverses variations qui peuvent être d’ordre idiolectales, géographiques, socioprofessionnelles, diachro­niques. Lutz Götze (1989 : in : La place de la grammaire) affirme que cela est dû à la gram­maire linguistique qui ‘«’ ‘ fixe une forme idéale plutôt que des formes avec des dé­viations de la norme clas­sées de façon discriminatoire en langue courante ’ ‘»’ puis il suggère dans un autre article (1989) que la grammaire devrait s’appuyer sur un corpus de données langagières réelles. En effet, la grammaire ne décrit pas tout ce qui se passe dans une langue. Elle effectue une sélection normative très stricte, basée sur l’écrit. On peut tout de même observer quelques petits changements à ce niveau, dans les manuels scolaires de la mouvance communicative et notion­nelle-fonctionnelle.
En outre, Lutz Götze (idem) rappelle que la grammaire a tendance à prendre pour objet uniquement les faits de langue des « phénomènes marginaux » qui ont un intérêt linguistique pour les linguistes-grammairiens mais qui ne font pas forcé­ment par­tie des faits de langue les plus fréquemment employés dans la réalité : c’est le cas du subjonctif que la grammaire française a mis sur un pied d’estale.

Dans cette première partie, nous sommes partis de l’acquisition d’une lan­gue en général pour ensuite expliquer comment le savoir se construit. C’est en re­consti­tuant le cheminement du savoir que nous sommes arrivés à la conclusion que les processus d’apprentissage et d’acquisition sont étroitement liés. Puis nous avons orienté notre travail vers la base de l’acquisition en langue, que représente la for­mation et l’évolution de l’interlangue, à l’aide duquel le sujet/apprenant doit constamment maintenir un équilibre dans ses connaissances de la langue-cible. Nous nous sommes ensuite posés la question de savoir s’il est possible d’apprendre une L2 comme on apprend sa L1. Ainsi, nous avons pu mettre en évidence deux modes d’acquisition des langues à la fois cognitif et social. Après avoir focalisé notre attention sur l’acquisition guidée de la L2 en milieu institu­tionnel, nous avons rappelé les fonctions principales des deux acteurs prin­cipaux : l’enseignant en matière d’étayage, de direction de l’interaction et d’évaluation. Nous avons ajouté que dans la plupart des cours de langue, une nette orientation linguistique domine encore sur l’orientation communicative. En ce qui concerne l’autre acteur important, l’apprenant, nous avons noté l’importance du travail de didactisation fourni par l’enseignant, en particulier à travers des tâches insérées dans une cer­taine progression. Pour poursuivre, nous avons défini le concept de grammaire : tout d’abord comme représentante de la compétence linguistique, elle-même partie intégrante de la compétence communicative. En­suite, nous avons tenté de rassem­bler les connaissances sur l’ordre d’acquisition de la com­pétence linguistique en notant l’importance du lexique, de la flexion et de la syn­taxe. Dans le chapitre sui­vant, nous avons tenté d’élucider le processus qui met en place la compétence lin­guistique chez les apprenants en démontrant qu’il ne s’agit pas d’intériorisation de la grammaire mais de grammaticalisation de la part de l’apprenant et ce, principa­lement grâce au développement d’une conscience lin­guistique. Puis nous nous sommes intéressés à la grammaire à multiples facettes telle qu’elle peut apparaître dans un cours de langue : « faire une grammaire » étant une grammaire scientifi­que, « mettre de la gram­maire » correspondant aux grammaires d’apprentissage ou aux grammaires pédagogiques et enfin « faire de la grammaire » étant l’organisation du savoir pour favoriser la grammaticalisa­tion. Après avoir rappelé les préjugés d’un appre­nant sur la grammaire, nous avons rassemblé les mécanis­mes réflexifs opérés par la grammaire sur la langue et notamment sur l’unité prin­cipale, la phrase. Puis nous avons poursuivi cette ré­flexion pour nous inspirer des théories de Besse et Porquier sur toutes les compo­santes d’un cours de grammaire : le modèle méta­linguistique qui se base sur une école de pensée linguistique et scientifique, ce dernier déterminant l’orientation de la description grammaticale de la langue-ci­ble. De cette description émane une règle de grammaire qui classifie le fait de langue étudié. Pour cela, la terminolo­gie métalinguistique a un rôle de transcrip­tion et de formulation capital. Il en est de même pour les exercices qui permettent de fixer un chemin vers l’acquisition du savoir sur la langue-cible. Ce­pendant, nous avons tenu à démontrer que la grammaire est présente au delà de la tradi­tionnelle leçon de grammaire. Enfin, nous avons tenté de présenter toutes les rai­sons qui peuvent expliquer la nécessité de la grammaire, pour achever cette pre­mière partie sur la sélection qu’applique la grammaire sur la langue avant de l‘étudier.
Après avoir défini le cadre dans lequel s’insèrera notre analyse, nous allons main­tenant pouvoir définir les termes de cette dernière pour ensuite mettre à l’épreuve deux supports rigoureusement sélectionnés.