Dans ce chapitre, nous allons poursuivre le cheminement du savoir grammatical à l’intérieur de nos deux supports. A cette fin, nous nous interrogerons sur la question du devenir du savoir une fois qu’il a été introduit en tant qu’input grammatical, c’est-à-dire s’il est organisé selon une logique particulière et si oui, laquelle. Afin de préciser notre analyse, nous étudierons plus particulièrement, dans ce chapitre, le mode de traitement du présent de l’indicatif dans nos deux supports.
L’approche de ce fait de langue-cible se réalise en deux leçons dans le manuel. L’introduction du présent est préparée dans la leçon 1 à travers les thématiques linguistiques suivantes :
Cette introduction est traduite dans le cahier d’exercices par la mise en place d’exercices de manipulation de la langue qui focalisent indirectement sur le verbe. Puis au début de la leçon 2, une explication grammaticale est introduite non pas par une description mais à travers un tableau qui sensibilise l’apprenant à différentes choses : les particularités de la conjugaison au présent avec des verbes standards, particuliers (verbes en –ten comme « arbeiten ») et irréguliers (ex : nehmen) (p17). Cette étape passée, le cahier d’exercices offre trois exercices dont le premier porte un intitulé qui rappelle directement le fait de la langue cible qu’il traite : « le présent ».
Dans le CD-rom, l’objectif grammatical de traitement du présent est annoncé dès la première leçon. Cependant, ce fait de la langue cible ne fait l’objet d’une explication grammaticale dans une Rubrique grammaticale qu’à la leçon 9
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. De plus, il ne s’agit pas d’une réelle explication grammaticale mais seulement de l’exposition de trois verbes conjugués dont les terminaisons sont surlignées. Pour l’apprenant souhaitant plus d’informations ou pour des renseignements plus précoces, on pourra avoir recours à l’Outil grammaire. L’apprenant y fera une recherche en rentrant le nom d’une catégorie grammaticale ou en triant parmi tous les chapitres proposés dans l’outil. Mais en faisant la même recherche, nous avons remarqué que l’apprenant se verrait alors confronter à deux difficultés : pour trouver satisfaction, il devra formuler l’objet de son problème. A cette fin, il devra au préalable s’être construit un métalangage solide
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que tous les débutants en L2 n’ont pas forcément. La deuxième difficulté est qu’il sortira peut-être déçu de sa recherche en s’apercevant qu’il devra se satisfaire de deux réponses : la conjugaison au présent des auxiliaires irréguliers : haben et sein.
Dans le cadre de notre analyse, il ne s’agit pas de porter un jugement sur tous ces choix didactiques mais justement de tenter les comprendre.
Si on approfondit notre observation du cheminement du savoir dans les deux supports, on peut relever le fait que la grammaire explicite intervient assez tardivement, cas extrême dans le CD-rom. Les exercices, par contre, sont omniprésents, en particulier dans le CD-rom où ils se trouvent sur presque toutes les pages d’une leçon, hormis sur les pages de la Rubrique grammaticale. Face à cette constatation, nous avons dévié notre regard vers les exercices des deux supports pour en dégager leurs fonctions.
Pour ce faire, nous avons rassemblé tous les exercices 50 issus du manuel et du CD-rom, puis nous en avons extrait la tâche cognitive respective que chacun exige à l’apprenant pour réaliser l’exercice avec succès. Sur la base de ces données, nous avons construit la typologie 51 d’exercices suivante dont les exercices permettent à l’apprenant d’aller de la manipulation d’un fait nouveau de la langue cible à l’apprentissage en bonne voie d’acquisition de ce même fait :
Objectif immédiat | Tâche à accomplir dans l’exercice | Référence de l’exercice |
1- Ecouter et reproduire oralement la langue cible telle qu’elle est, sans en changer la forme |
- Ecouter et lire le dialogue - Trouver une réponse parmi plusieurs propositions - Repérer du vocabulaire - Associer vocabulaire et image - Associer phrase et image |
1,2,3,6,16,17, 18,1(5), 7(5), 17(5),4(9), 21(9), A1 à A14 4,5,3(5), 16(5) 7-5(5)-10(5) 10, 11(5) 11 |
2- Prendre le verbe conjugué puis le déplacer sans modifier la forme. | - Apparier une question et une réponse - Répondre à des questions (réponse contenue dans la question) - Trouver le sujet d’une phrase |
Ü1 à 4 4,5 |
3- Reproduire à l’écrit la forme d’un verbe déjà identifié dans un texte | - Remplir un texte à trous par un nom ou un verbe - Remplir les trous d’une réponse par rapport à la question - Ecrire des phrases intégrales de présentation (forum) - Ecrire une question sur soi avec un modèle (forum) |
Ü7-8, 8, 9, 5(9), 12, 13, 4(5), 15, 13(5) |
4- Identifier les caractéristiques syntaxiques du verbe et des éléments qui lui sont étroitement liés | - Déduire la position du verbe - Associer une image à une phrase en prêtant attention au genre et au nombre |
Ü9 14 |
5- Prise de conscience de détails formels sur le verbe | - Segmenter un texte - Trouver la place du verbe et écrire le verbe (sans modèle) - Trouver la question et l’écrire - Trouver la bonne terminaison du verbe selon trois propositions - Remplir les trous avec le même verbe à 2 personnes différentes ou 2 noms (ou écrire) - Remplir les trous en écrivant le verbe avec la terminaison qui correspond |
Ü10 Ü11 Ü13 21 22, 9(5), 9(9) 23, 10(9) |
6- Produire la forme du verbe sans modèle | - Questions avec trous - Ecrire la réponse à la question |
Ü16-17-19 24, 13(9) |
7- Rationalisation de caractéristiques typiques du fait de langue | - Remplir un tableau avec des propositions de terminaisons de verbes | Ü18 |
8- Mise en relief de relation avec d’autres mots | - Isoler un mot dans un tableau pour voir sa position | Ü20 |
9- Variation de la manipulation de verbes au présent | - Remise en ordre et conjugaison du verbe - Remplir les trous du dialogue sans l’écoute - Ecrire sur soi sans modèle et dans une situation - Apparier une partie de phrase avec une autre |
Ü21, 12(9) 28, 2(5), 15(5), 16(5) 15(9), 17(9) 11(9), 19(9) |
Légende : Références Ü et A = issues du manuel (leçon 1). Les chiffres seuls sont des références issues du CD-rom : les jaunes de la leçon 1, les verts de la leçon 5 et les bleus de la leçon 9. |
A travers cette typologie, on peut observer plusieurs choses :
On ne peut pas se satisfaire d’une typologie généraliste comme celle de Besse et Porquier (1991 :119). En effet, nous devons constater que, dans un parcours d’apprentissage comme dans nos deux supports, les exercices entretiennent une relation de dépendance les uns aux autres. De plus, il nous semble absolument indispensable de veiller à l’activité cognitive exigée par les apprenants dans les exercices (ici les « objectifs immédiats »), c’est-à-dire ce que l’apprenant doit être capable de faire après avoir fait l’exercice. En effet, c’est elle qui nous renseigne sur le rôle de chaque exercice dans la mise en place de l’apprentissage chez l’apprenant ;
Les exercices du manuel et du CD-rom se regroupent non seulement selon les mêmes objectifs immédiats, mais ils poursuivent ces objectifs approximativement selon le même ordre de progression, ce qui nous indique la logique de l’organisation du savoir grammatical ;
L’apprentissage s’appuie sensiblement sur deux modes : d’abord associer des mots et des réponses ou bien écrire caractère par caractère, ce qui permet l’imprégnation au savoir par des sens différents de manière globale puis analytique ;
Le CD-rom ne mise pas que sur une seule leçon pour transmettre les connaissances sur un fait de la langue-cible, mais bien sur plusieurs (jusqu’à la leçon 9). La transmission d’un fait de langue (ici le présent) est, en fait, accompagnée par d’autres faits de langue (ici le nominatif) qui, jusqu’à l’explication grammaticale, complètent et complexifient l’approche du présent :
Pour cette raison, chaque nouvelle leçon propose des exercices qui visent des objectifs se situant au début de la typologie.
De l’analyse menée dans ce chapitre, on peut conclure que, dans le CD-rom, l’explication grammaticale n’est pas une fin en soi, contrairement au manuel. Les concepteurs du CD-rom misent sur l’absence de passage par un savoir externe reformulée par un modèle linguistique, une description et un métalangage 52 . Au contraire, les concepteurs du CD-rom semblent tenir à la formulation de règles procédurales 53 par l’apprenant, qui, ainsi, va se construire de façon active et autodisciplinée son propre interlangue et éventuellement le remettre en question au fil des leçons. Le CD-rom semble donc vraiment favoriser un apprentissage en cascade qui permet de maintenir l’attention des apprenants : les exercices ne jouent plus seulement leur fonction première d’application mais aussi la fonction de faire remarquer des choses aux apprenants en manipulant la langue, même si cela reste assez discret car ni la consigne ni l’intitulé de l’exercice ne prédestine cela. A ce propos, il serait intéressant de voir la réaction effective d’un apprenant devant ce genre d’apprentissage, vu que les apprenants sont habitués à un système scolaire en présentiel qui repose sur la dichotomie théorie/pratique dont le pilier est l’enseignant. Pour optimiser l’utilisation d’un tel CD-rom qui vise des conditions d’apprentissage optimales, il faudrait peut-être tout de même envisager une initiation à l’apprentissage en autonomie. Il faudrait notamment montrer aux apprenants que la politique d’apprentissage favorisée par les concepteurs du CD-rom explique la pauvreté apparente du CD-rom en explication grammaticale dans la rubrique grammaticale et dans l’outil grammaire. De plus, il serait indispensable d’ajouter qu’il est tout à fait possible de faire de ‘«’ ‘ la grammaire par la pratique et sans trop d’explication grammaticale ’ ‘»’ (Vigner : 2004) dans une méthode comme celle de nôtre CD-rom où l’enjeu, pour les apprenants, est ailleurs. En effet, il s’agit d’apprendre soi-même par la découverte.
située en dehors de notre terrain d’analyse
Voir point consacré à la description métalinguistique dans le chapitre 1.3.5.2
Voir le point théorique sur les exercices dans le chapitre 1.3.5.2
« Action d’ordonner la diversité d’un ensemble d’éléments afin d’en permettre une meilleure compréhension » (Cuq : 2003 : 241)
Pour le rôle de ces trois éléments se reporter au chapitre 1.3.5.2.
Pour retrouver la définition d’Anderson, se référer au chapitre 1.1.