3.3 Le cadre d’apprentissage dans nos deux supports :

3.3.1 L’autorité :

3.3.1.1 Place de l’erreur :

‘«’ ‘ elle représente un écart à la représentation d’un fonctionnement normé ’ ‘»’

En ce qui concerne le manuel, nous avons relevé deux types d’évaluation. Dans le manuel en lui-même, les premières pages interrogent sur la compréhen­sion et manipulent déjà l’input grammatical. La partie inférieure de ces mêmes pages donnent des amorces de réponses (ex : A1, A2) 55 .
A la fin du cahier d’exercices, l’apprenant peut aussi trouver toutes les réponses aux exercices.
Jusque là, dans ce premier support, est proposée une évaluation formative, ‘«’ ‘ un processus d’évaluation continue qui vise à guider l’apprenant dans son travail, à situer ses difficultés pour l’aider, et à lui donner les moyens pour lui permettre de progresser dans son apprentissage ’ ‘»’ (Cuq : 2003 : 91).
De plus, à la fin d’un groupe d’exercices du cahier d’exercices, un « Rückschau » 56 est proposé à l’apprenant pour faire le point sur les capacités acquises lors de la leçon. Cette partie s’apparente plutôt à une évaluation somma­tive par laquelle la leçon en cours prendra fin. Ce type d’évaluation se définit comme ‘«’ ‘ une démarche visant à porter un jugement sur le degré de maîtrise des apprentis­sages à la fin d’un cours, d’un cycle, d’un programme d’études ou d’une partie terminale d’un pro­gramme, dans un but de classification, d’évaluation du pro­grès ou dans l’intention de vérifier l’efficacité d’un pro­gramme, d’un cours au terme des apprentissages ’ ‘»’ ‘’(Cuq : 2003 : 91).

Il est vrai que le cahier d’exercices ne prévoit pas d’exercices par la suite sur la leçon, ni même, en cas de mauvaise acquisition d’un point de la leçon, de sugges­tions de retour à un exercice de la leçon.
Quelque soit l’utilisation que fera l’enseignant de ce manuel, on voit donc bien qu’une part d’autonomie peut être accordée aux apprenants avec l’évaluation for­mative, qui peut alors compléter les séquences davantage dirigées par l’enseignant et dont l’atteinte de l’objectif devrait être confirmée par l’évaluation sommative du savoir grammatical entre autre.

En ce qui concerne le CD-rom, nous devons porter notre attention sur les exerci­ces et la façon dont les résultats de la performance de l’apprenant sont ré­vélés. Pour cela, nous avons observé :

  • le mode de correction : quand l’apprenant clique sur V, la correction de chaque exercice est rendue sous forme de pourcentage (évaluation sommative) ;
  • le type de correction : absence de feedback. L’apprenant doit se conten­ter du dé­compte des points (évaluation sommative);
  • la possibilité de refaire les exercices : l’apprenant peut soit passer à l’exercice suivant, soit visualiser les mots où il a fait des erreurs et re­faire l’exercice déjà réalisé à partir de ses erreurs ou bien recommencer complètement l’exercice en cours (évaluation formative);
  • faire le point sur une ou plusieurs leçons : aller sur le forum et communi­quer avec un partenaire sur un sujet prédéterminé par le CD-rom (évaluation formative).

En ce qui concerne le type de correction, nous l’avons qualifié de somma­tif en raison de l’absence de partialité : la réponse de l’apprenant est correcte ou incor­recte, il n’y a pas de demi-mesure, ni de commentaires d’ailleurs.
A ce sujet, nous pensons que le CD-rom n’exploite pas toutes les compétences qu’il possède réellement. Le CD-rom a les moyens de faire réagir le programme en fonction de la réponse individualisée de l’apprenant avec l’interactivité, « notion d’un dispositif capable de réponses différenciées, en réaction à une inter­vention humaine » (Lancien : 1998 : 30).
Il s’agirait donc de réaliser un travail de prévisions des productions possibles des apprenants sur un exercice assez contraint. 57 A partir de ce travail de prévision, les concepteurs devraient ensuite créer des feedbacks adaptés pour leur donner deux fonctions :

  • Le guidage : confirmer à l’apprenant quand il a obtenu la bonne ré­ponse ou quand il est dans la bonne voie pour la trouver (dès qu’il a trouvé un élément de ré­ponse, par exemple). Ces commentaires parais­sent évi­dents, mais l’apprenant en phase d’apprentissage ne peut pas savoir quand il sait parfaitement, c’est-à-dire quand sa production est conforme au savoir externe, c’est pourquoi nous pensons qu’il est ab­solument nécessaire d’encourager et d’identifier ce type de perfor­man­ce.
  • Le guidage n’est pas forcément suffisant. Pour cette raison, les feed­backs doivent aussi contenir des indications qui serviront à réorienter l’apprenant en leur don­nant des moyens explicites ou suggérés de ren­dre cette aide effective.

Les feedbacks seront ensuite automatisés et se déclencheront par des mots-dé­tec­teurs représentant des erreurs prévisibles : un corpus relativement important ras­semblé par les concepteurs et qui serait basé sur la grammaire contrastive. Celle-ci décèlerait des erreurs que peuvent faire les francophones en allemand, et les piè­ges dans lesquels ce public peut tomber.
Par exemple, p15 de la première leçon, l’apprenant pourrait avoir des difficultés avec le substantif die Leute. S’il ne le comprend pas, l’apprenant pourrait penser qu’il s’agit d’un substantif au féminin vu que le substantif porte formellement le même article que les articles de ce genre. L’apprenant peut aussi avoir des diffi­cultés avec le nombre du substantif : le pluriel. En effet, les pluriels en allemand n’ont pas toujours la même terminaison, contrairement au français, où tous les substantifs pluriel prennent un –s final.
Nous pensons qu’il ne faut pas négliger la proportion d’analogies faites chez les apprenants débutants en L2 entre les éléments qu’ils connaissent et ceux qu’ils ne connaissent pas, ainsi que de liens qu’ils font avec leur L1. Le travail sur un projet de grammaire contrastive, surtout s’il doit être adapté aux productions les plus di­verses des apprenants est certes énorme, mais il est d’une grande importance pour les apprenants de ce niveau.
Nous jugeons ce travail nécessaire car il en résultera une pédagogie qui sera indi­vidualisée selon le parcours, le rythme et le style d’apprentissage, les points forts ou faibles de l’interlangue de l’apprenant : il en résultera une pédagogie différen­ciée.
Le CD-rom peut alors en partie palier aux lacunes que n’a pas l’enseignant qui peut toujours être très flexible en pouvant toujours apporter, à tout moment, l’aide nécessaire citée ci-dessus. Cependant, l’atout du CD-rom par rapport au manuel est que, face à ces conditions d’utilisation, le travail en autonomie pour le CD-rom et en groupe pour le manuel, le CD-rom se prête davantage à une écoute plus rappro­chée de l’apprenant. Sans ce système, nous estimons que le CD-rom ne rend pas totalement praticable l’autonomie qu’il accorde aux apprenants.

Nous avons relevé une autre différence entre nos deux supports.

Prenons, par exemple, l’exercice 9 de la première leçon du CD-rom : il est déjà question de distinguer les pronoms personnels et les adjectifs possessifs de la pre­mière personne et du Sie de politesse. A ce stade, l’exercice ne peut pas avoir la fonction de consolider un savoir. Au contraire, c’est bien l’occasion pour l’apprenant de ne pas passer beaucoup de temps sur cet exercice ou même d’échouer totalement ou partiellement. Ainsi, c’est en échouant et en confrontant ses propres réponses aux solutions officielles de l’exercice que l’apprenant va pou­voir progresser et se former son propre savoir interne dans son interlangue. Nous pensons que l’exercice va le forcer à émettre des hypothèses sur plus de choses qu’il ne l’aurait fait naturellement et aussi sur les solutions de l’exercice. Bien sûr, cela suppose une certaine motivation chez l’apprenant, élé­ment égale­ment primor­dial pour un cours de langue en présentiel. L’erreur n’a donc pas la même valeur dans ce CD-rom que dans le système éducatif classique. En ce qui concerne la pos­sibilité d’effacer une production et de refaire les exerci­ces depuis le début, nous pensons qu’il ne faut pas la considérer comme un travail sans im­portance pour l’apprenant dans la construction de son savoir interne. Jus­tement, l’apprenant mise, en utilisant cette fonction, sur la confrontation de ma­nière non pas passive mais analytique avec l’évaluation de sa production par le système ou avec les solutions correctes et sur sa capacité de mémoriser sa pro­duction initiale. Ici encore, le fait de revenir sur ces erreurs prend une valeur po­sitive, surtout que l’apprenant est seul devant le système et ne se trouve pas face à un environnement évaluatif comme en classe de langue classique où l’intérêt d’apprendre une L2 est se­condaire au profit de celui des notes.
Ici, c’est bien le pouvoir du multimédia d’accorder l’accès permanent à l’information ainsi que de refaire un exercice à partir d’informations précocement visualisées, la réponse à un exercice, pouvoir qu’on ne retrouve ni dans le manuel ni dans un cours de langue classique, qui est le vecteur de la progression de l’apprenant.

Ainsi, comme nous avons pu le remarquer, le CD-rom ne devrait favoriser qu’une éva­luation formative. Il ne peut en être autrement car contrairement à un ensei­gnant en présentiel, le but n’est pas qu’après la participation de l’élève, l’erreur soit re­pérée et identifiée par l’apprenant par l’intermédiaire de l’expert et que le savoir soit correctement transmis. C’est justement l’apprenant qui, au cours de maintes manipulations de la langue, va rencontrer des occasions de réajuster tou­jours un peu plus son interlangue. Le système de correction du CD-rom n’est donc en fait qu’un avertissement dissuasif.

L’idéal serait de pouvoir détecter les erreurs au delà des exercices car ceux-ci ne reflètent qu’une partie de l’état de l’interlangue de l’apprenant et non pas toute la logique et les systèmes psycholinguistiques qui la sous-tendent et qui peu­vent aussi expliquer les erreurs. Le multimédia augmente toutefois la surface visi­ble de l’interlangue de l’apprenant en concevant un programme dont la base est un en­semble d’exercices, terrain de construction de son interlangue.

Notes
55.

Voir encadrés bleus en bas de page de ce support

56.

Traduction : révision

57.

Cela n’est donc pas possible pour les exercices d’expression libre où les apprenants peuvent parler d’eux