3.3.2 Les sources et les outils :

3.3.2.1 Place de la L1 et de la L2 :

Dans ce chapitre, nous allons observer quelle place on accorde à ces deux langues en grammaire dans notre CD-rom ainsi que dans notre manuel. Nous nous inter­rogerons donc sur les questions de savoir si leurs auteurs respectifs leur ont attri­bué un rôle particulier, à quel(s) moment(s) interviennent ces langues et quelle(s) en sont leur(s) utilité(s).

Dans le CD-rom, les deux langues sont la plupart du temps disponibles dans tout ce qui est en dehors du corps des exercices, c’est-à-dire : non pas dans le pro­gramme didactique de chaque leçon ni dans l’intitulé d’un groupe d’exercices, comme par exemple ‘«’ ‘ Einführung und Anwendung ’ ‘»’ 58 pour le premier groupe d’exercices, mais dans la consigne d’un exercice, la Rubrique grammaticale et l’Outil grammaire.
Le programme présente d’abord ces textes écrits en allemand puis l’apprenant peut obtenir la traduction en français. L’outil de traduction est indiqué très discrètement par un petit drapeau qui n’apparaît que si l’apprenant fait volontairement ou par hasard glisser le curseur sur le texte en question. Dans la pratique, l’apprenant peut donc consulter l’une des deux langues ou bien les deux l’une après l’autre. Cepen­dant, les textes ne peuvent pas apparaître dans les deux langues en même temps.

La place de ces deux langues implique donc plusieurs choses selon le comporte­ment de l’apprenant:

  • pour l’apprenant qui n’a que très peu manipulé le multimédia par le passé et qui, par conséquent, va se laisser guider par ce qui lui est di­rectement offert par le CD-rom, c’est-à-dire les textes en allemand, sans chercher d’autres possibilités, ce sera une situation de bain lin­guisti­que ;
  • l’autre configuration est que l’apprenant alterne effectivement entre les deux langues. Ainsi, il dispose d’une certaine liberté dans la détermi­na­tion de son envi­ronnement de travail.

Ces allées et venues de l’apprenant entre les deux langues étaient certainement le comportement visé par les concepteurs. Cependant, nous pensons que cette liberté est toute relative. L’apprenant débutant pour lequel le but principal est de progres­ser rapidement dans sa maîtrise de la langue-cible, aura tendance à systématique­ment avoir recours à sa L1, le français. Il ne faut pas oublier que l’enseignant ne sera pas derrière l’apprenant pour le pousser à faire l’effort de se confronter à la langue-cible. Ici le concepteur ne devrait donc pas sur-estimer la liberté procurée par le multimédia pour atteindre un but noble qu’est la création d’un environne­ment d’apprentissage le plus proche possible du bain linguistique.
Il serait donc peut-être préférable de recadrer un peu cette liberté de manière à ne pas manquer cet objectif. 59

Cette fonctionnalité d’alterner entre les deux langues ne peut technique­ment pas être proposée par le manuel. Par conséquent, ses auteurs ont dû faire un choix : ils ont préféré livrer tous les textes en langue cible. Ce choix nous semble s’expliquer par l’origine même du manuel : un manuel d’allemand issu d’une mai­son d’édition allemande 60 .
Cependant, en comparant le rôle de ces deux langues dans nos deux supports, nous nous sommes demandés quelle(s) possibilité(s) un apprenant francophone débutant a-t-il vraiment de comprendre des textes en allemand qui doivent lui donner des indications ou des explications d’une certaine importance.

Concernant la compréhension des consignes en allemand : nous avons fait le même constat pour les deux supports (ex : leçon 1 exercice A8 dans le manuel et leçon 1 exercice 11 dans le CD-rom, comme suit) :

elles peuvent être facilitées par :

  • des exemples ;
  • des exercices de repérage (p10 du manuel) ;
  • directement par la forme de l’exercice qui indique de fa­çon implicite l’action à mener par l’apprenant pour ré­us­sir avec succès l’exercice et appliquer correc­tement le fait de langue traité. Cette aide peut aussi rappeler à l’apprenant des formes d’exercices qu’il a déjà ren­contrées lors de sa formation menée depuis le début de sa scolarité ;
  • des symboles pictographiques peuvent aussi guider l’apprenant pour les associer à une action à accomplir.

Concernant la compréhension des éléments composant les supports, consacrés à l’explication grammaticale, nous avons également décelé quelques aides destinées à l’apprenant :

l’effort d’employer des mots allemands transparents pour des francophones comme « Nomen », Artikel » (leçon 1 du CD-rom) et « Verb », « negativ », « positiv » (leçon 2 p 17 du manuel) ;

des schémas ;

des mises en évidence par des jeux de couleurs (idem dans le manuel).

Néanmoins ces aides nous paraissent encore insuffisantes pour rendre ac­cessible l’explication grammaticale en langue-cible aux apprenants de niveau dé­butant. Il est évident ici, que le savoir externe est positionné très loin d’une possi­ble appro­priation par l’apprenant qui souhaiterait en faire son savoir interne. En effet, la terminologie utilisée reste très hermétique :

Extrait de l’Outil grammaire issu du CD-rom

Citons un autre exemple issu du manuel : p6 du cahier d’exercice du manuel, deux mots que l’apprenant débutant aura beaucoup de mal à différencier : « Fragewort » et « Wortfrage ».
Avec ces deux exemples issus des deux supports, il est clair que l’écart est trop grand entre le niveau des informations et le niveau de l’interlangue des apprenants surtout en ce début d’apprentissage. L’apprenant ne peut alors que se désintéres­ser du texte allemand, vu la syntaxe, le niveau de langue et le lexique retenu.
Face à cette présence excessive de la langue-cible dans ces explications gramma­ticales, le manuel peut profiter de la présence de l’enseignant qui devra alors faire un travail d’étayage 61 presque démesuré afin de réduire cet écart et ainsi notre ma­nuel ne passera pas à côté de son public non-germanophone.
Par ex :

  • préciser les concepts grammaticaux compris dans les termes grammati­caux ;
  • adapter les concepts aux compétences métalinguistiques des appre­nants ;
  • découper la transmission du savoir en plusieurs étapes.

Pour les auteurs de ce manuel, il n’est donc plus nécessaire de renoncer à leur sou­hait d’un environnement proche du bain linguistique. Ainsi ces derniers pro­posent à leur public non pas de produire ni même de reproduire tous les éléments de la langue-cible proposés, mais de comprendre ce qui se dit en langue-cible. Il ne faut pas nier que cela ne va pas empêcher l’apprenant de construire son inter­langue en oubliant cette terminologie une fois qu’il l’aura comprise et de passer par sa langue maternelle.
Toutefois, nous pensons que cette situation n’est pas acceptable car un manuel devrait aussi être utilisable pour l’apprenant qui veut y revenir seul sans trop d’explications complémentaires.
On peut s’imaginer que la situation de l’apprenant-usager du CD-rom peut deve­nir rapidement confuse. En effet, ces textes issus des explications grammaticales com­portent pour l’apprenant le même statut que les textes contenus dans les dia­logues car dans les deux cas, ils sont en langue-cible. Mais, en réalité, ces textes n’ont pas fait l’objet d’une didactisation antérieure comme les dialogues sous la forme d’exercices par exemple. Par conséquent, les explications grammaticales entière­ment formulées en langue-cible ne contiennent pas d’input grammatical mais, avec leur apparence, elles peuvent tout de même être considérées comme tel par l’apprenant. Par conséquent, devant un contexte d’apprentissage en immer­sion, l’apprenant peut être frustré par la mauvaise identification de son espace d’apprentissage.
Pour clore cette discussion, nous en arrivons à la conclusion que sur un CD-rom, l’immersion totale n’est pas envisageable si aucune aide n’est mise à la disposi­tion de l’apprenant pour que ce dernier puisse trouver des portes d’accès vers un savoir dont il n’est pas du tout maître.

Comme on peut le constater à la suite de ce recensement, le manuel offre sensi­blement les mêmes aides que le CD-rom. De plus, les exemples relevés nous dé­voilent les deux extrêmes.
Notre manuel est tout en langue cible et exige donc un travail massif de la part de l’enseignant pour simplifier, adapter voire traduire l’explication grammaticale et non un travail où l’apprenant serait plus engagé.
Le CD-rom, quant à lui, utilise sans modération les fonctionnalités d’accès aux deux langues. Mais nous avons vu que trop de libertés peut aussi mener l’apprenant à trop de passivité en se retournant toujours sur sa L1.

En ce qui concerne le CD-rom, nous préconisons une solution : d’une part, for­muler des phrases simples lexicalement et syntaxiquement, voir même rempla­cer les phrases par des schémas alimentés par des exemples. D’autre part, nous laisse­rions le minimum de phrases ou de mots contenant des explications gram­matica­les alors simplifiés, en allemand mais nous ne donnerions pas aux appre­nants l’accès à une traduction intégrale. Nous opérerions à partir de ces phrases ou mots en allemand un travail de prévision des mots difficiles pour le niveau. Nous fe­rions ensuite apparaître la traduction de ces mots sous forme d’infos-bulles indi­viduelles auxquelles l’apprenant pourrait directement avoir accès en glissant le curseur de sa souris sur un mot ciblé à la fois par le programme et par l’apprenant.

La compréhension de l’explication grammaticale ne serait pas passive mais s’effectuerait à la suite d’un exercice de compréhension « naturelle » de phrases ou des mots un peu plus difficiles pour le niveau. Ainsi l’apprenant ne passerait pas trop de temps sur des phrases ou des mots en allemand inadapté à son niveau, mais tout de même un minimum pour ne pas se contenter seulement d’une lecture mais aussi d’une imprégnation du savoir transmis par ces textes. L’étayage de l’enseignant visant ce dernier objectif serait alors en partie reconstitué par ces ai­des fournies par le CD-rom lui-même.

L’analyse de ce chapitre met le doigt sur un problème qui aurait dû appa­raître lors de la conception. La possibilité d’offrir une ou plusieurs langues semble ici mal mesurée. Contrairement au préjugé sur le multimédia, ce problème ne tou­che pas seulement le multimédia mais aussi le manuel.
La grammaire, à travers tous les textes qu’elle propose, peut, donc ainsi offrir des informations à deux niveaux : au premier plan, elle donne les informations qu’elle doit communément livrer (ex : les consignes donnent des instructions sur une ac­tion à réaliser, l’outil grammaire donne des explications et des illustrations) et au second plan, des connaissances nouvelles en particulier du lexique et des informa­tions sur la langue (par exemple, sur la syntaxe) que l’apprenant peut aussi inté­grer à son interlangue sous une forme provisoire.

Ces deux niveaux doivent donc aussi être respectés aussi bien par les concepteurs de CD-roms que de manuels.

Notes
58.

Traduction : Introduction et emploi

59.

Nous ferons des propositions concrètes dans les para­graphes suivants.

60.

Voir chapitre 2.1.2.1

61.

Pour de plus amples informations sur ce concept, se reporter au chapitre 1.2.1