Chapitre 1 :
La compétence, un concept polysémique

« Etre compétent, c’est finalement trivialement savoir se débrouiller dans des situations critiques, confuses, emmêlées ou imprévues »
Yves Lichtenberger (1999) 21

La société post industrielle se caractérise par de nombreuses transformations du système productif…

Jusqu’au début des années 80, les métiers sont structurés par fonction autour des qualifications et des emplois. Dès la fin des années 80 la recherche croissante de flexibilité humaine, technique et/ou organisationnelle va amener les frontières des emplois à s’élastifier et s’opacifier (transversalité et polyvalence) jusqu’à remettre en cause assez profondément la notion de métier et celle de qualification et laisser la place au concept de compétence. Tout le monde s’y intéresse : le Pouvoir politique –exécutif et législatif- qui souhaite à travers la compétence re-dynamiser le marché du travail en améliorant l’employabilité des personnes, les Administrations centrales en charge des politiques de l’Education, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle qui introduisent les actions de Validation des Acquis de l’Expérience, le Patronat qui vante les mérites du changement, les Consultants qui dans une logique marketing voient dans les compétences l’occasion de relancer le marché du conseil en Ressources Humaines et qui jouent un rôle fondamental dans la diffusion des idées et des outils managériaux, enfin les Chercheurs qui retrouvent avec la compétence le plaisir des débats qu’ils avaient connus à propos de la notion de qualification et pour certains, l’occasion d’adopter des postures normatives militantes.

Cette engouement pour la notion de compétence permet-il d’affirmer qu’elle a livré tous ses mystères ?

Que peut-on observer aujourd’hui ?

  • La qualification n’est plus synonyme de maîtrise des situations de travail, ni synonyme de potentiel d’action

Les situations de travail articulent aujourd’hui un ensemble de prescriptions ouvertes et fermées qui placent la compétence soit du côté des savoir-faire (compétences d’action) soit du côté du savoir-agir (compétences de gestion de l’action). On identifie deux types de pratiques professionnelles : des pratiques d’exécution (qui mettent en œuvre des procédures définies ou prédéfinies) et des pratiques de résolution de problèmes (qui visent à élaborer de nouvelles procédures). On imagine qu’il existerait différents niveaux de compétences : entre reproduire ou imiter des gestes professionnels et en produire ou en inventer, les compétences à l’œuvre ne sont sans doute pas du même ordre. Dans le premier cas, l’individu qui reproduit à l’identique des actions est immergé dans des activités d’exécution routinières et répétitives (dans la plupart des cas). Dans le second, l’individu fait face à une situation problème inconnue à laquelle il répond en puisant dans son patrimoine expérientiel. Il construit une réponse. Entre ces deux extrêmes, sans doute y a-t-il la place pour adapter des démarches maîtrisées à des situations proches ou différentes de la situation de référence en raisonnant notamment par analogie… Imitation, transposition, innovation pourraient être ici une typologie possible de ces niveaux de compétences…

Ces niveaux de compétences fonctionnent-ils de manière exclusive, indépendante ou complémentaire ? L’objet n’est pas de répondre à cette question mais en toute logique, ce qui caractériserait les situations professionnelles actuelles serait de pouvoir y investir ces différents niveaux de compétences en fonction du degré de prescription des tâches.

On tend alors vers une intelligence des situations pour laquelle la qualification ne suffit plus. On veut des gens qui savent bien plus que faire, qui savent agir, qui savent faire face aux situations, qui sont compétents, qui agissent avec compétence.

  • Et l’expérience devient apprenante, qualifiante

L’utilité sociale de la notion de compétence ne fait aucun doute ni dans le champ des pratiques des ressources humaines, ni dans le champ de la formation.

L’approche de la formation par les compétences est une pratique désormais installée et incontournable dans la définition et l’élaboration des diplômes à visée professionnelle ou professionnalisante. Cette approche est devenue nécessaire pour les dispositifs de validation des acquis de l’expérience qui s’appuient sur une référentialisation des compétences dont il faudra fournir la preuve. L’expérience serait donc formatrice et l’on pourrait, en attestant de son expérience, faire la preuve de ses compétences…

Du côté des entreprises, cela ne semble faire aucun doute. Si nous regardons les offres d’emploi, les entreprises cherchent des gens ayant de l’expérience… L’expérience serait donc synonyme de maîtrise des situations professionnelles.

Deux questions se posent : L’expérience est-elle toujours apprenante ? La notion d’expérience peut-elle se substituer à celle de compétence, ou le contraire ?

Nous allons tenter de répondre à ces questions en définissant et caractérisant la notion de compétence. Les tentatives de définitions qui l’entourent sont très diversifiées. Nous nous poserons également la question de son opérationnalité et de son devenir…

Aujourd’hui avec l’importance accordée aux compétences, avec la reconnaissance du rôle qu’elles jouent dans la performance globale des entreprises, il devient essentiel de mieux comprendre les mécanismes de fabrication des compétences. Pour traiter de ce sujet, il convient tout d’abord de se mettre d’accord sur ce qui fait la spécificité des compétences . C’est à partir des caractéristiques propres aux compétences que l’on pourra approfondir la question de leur développement.

Tenter de définir la ou les compétences est sans doute un projet ambitieux puisqu’il n’existe pas une seule acceptation du terme. Selon l’interlocuteur, selon le point de vue ou selon l’utilisation de la notion de compétence, les définitions seront différentes et il conviendra de connaître les systèmes de références de ses utilisateurs pour pouvoir communiquer avec eux sans contre-sens ou déviation. Par exemple dans le discours des praticiens, on peut souvent rapprocher la notion de compétence de celle d’expertise professionnelle ; l’expertise professionnelle désignant les bons professionnels voire les très bons (haut niveau de maîtrise des situations). Pourtant une compétence peut correspondre à une tâche banale comme le faire. Peut-on alors parler de niveaux de compétences, comme on peut parler de niveaux de la pratique ?

Notes
21.

LICHTENBERGER Yves, op.cit p103