I.Essai de définition

Ces dernières années les réalisations pratiques et les travaux théoriques se sont multipliés autour du thème de la compétence. L’hétérogénéité des points de vue et des définitions de la compétence pourrait nous conduire à douter sérieusement de son opérationnalité, voire de sa légitimité. Les discours et pratiques se multiplient sans jamais arriver à un réel consensus.

Elle est d’abord apparue dans le champ des pratiques avant d’être étudiée et modélisée par les chercheurs au début des années 90. Le discours sur les compétences « est d’abord arrivé dans le discours syndical à la fin des années 60 (comme contrepoids au taylorisme triomphant), repris des linguistes par les formateurs dans les années 70 pour instrumenter l’essor de la formation professionnelle et continue, il se généralise dans le vocabulaire des organisateurs et des gestionnaires des ressources humaines au cours des années 80 sous la pression d’une concurrence qui laisse de moins en moins de place aux entreprises qui n’ont pas appris à tirer parti de l’initiative de leurs salariés » 22 .

La lecture de nombreux ouvrages et articles portant sur la notion de compétence montre que si la notion existe depuis fort longtemps, il a fallu attendre 1997 pour que le MEDEF en fasse son fer de lance (Les entretiens de Deauville). Elle n’a jamais, chaque fois qu’elle a été interrogée ou ré-interrogée, désigné une réalité totalement nouvelle, mais constitué le plus souvent une façon nouvelle d’appréhender et de coder des réalités déjà appréhendées sous différents angles dans le champ de la recherche et des pratiques. Le dernier ouvrage paru sur la notion de compétence tend à aller dans ce sens puisqu’il s’intitule : « La compétence, entre rupture et continuité » 23 .

Après avoir balayé le champ des pratiques, nous parcourrons les champs disciplinaires qui nous paraissent les plus contributifs : les champs de la psychologie, de la sociologie, de l’ergonomie et des sciences de l’éducation.

Avant tout, envisageons une première définition très générale. Dans une première acceptation très large du terme, le terme évoque « ce quelque chose en plus qui est demandé au salarié et que sa qualification n’arrive plus à nommer ou à garantir» 24 . Un salarié compétent, nous explique Yves Lichtenberger 25 , devient pour l’employeur celui qui se révèle performant dans les nouvelles conditions d’exigences productives nécessitant des capacités d’appréciation, de décision et d’intervention autonome et non plus seulement une obéissance aux directives fixées. Ainsi à l’inverse du terme de qualification, la compétence désigne sans ambiguïté une caractérisation du salarié et non du poste. Par ailleurs, s’il est besoin d’un autre terme que celui de qualification, ce n’est pas seulement parce que des compétences nouvelles ont pris de l’importance, c’est surtout que l’employeur attend que les capacités du salarié soient mobilisées d’une autre manière. La compétence exprime ce nouveau rapport social où l’employeur ne cherche plus seulement à recourir au bon vouloir ou à l’obéissance du salarié, mais est obligé de compter sur sa volonté et son engagement dans la production de la valeur de l’entreprise.

En définitive cette manière d’appréhender la notion de compétence insiste sur deux points saillants :

La compétence ne s’apprécierait qu’en situation réelle. Elle serait « de l’ordre de la mise en œuvre effective et non de la seule capacité, même éprouvée par un diplôme ou des tests professionnels. Le fait qu’un individu ait appris à faire, ou même ait fait, n’est plus un garant suffisant du fait qu’il saura faire dans des situations variées et variables non pré-déterminées » 26 .

La compétence ne s’apprécierait qu’individuellement. « Alors qu’à qualification égale deux salariés étaient censés faire la même chose et être interchangeables, on revient à une individualisation, ou plus justement à une personnalisation des manières de travailler. De plus, le fait qu’un salarié ait su faire n’est plus garant qu’en une autre circonstance il fera, ni qu’il fera aussi bien : entrent en jeu la variation des situations et des moyens accordés tout autant que des éléments d’intérêt au travail et de reconnaissance du travail qui débordent largement la situation de travail elle-même » 27 .

Nous nous retrouvons là avec une approche tout à la fois béhavioriste et cognitiviste de la compétence : conception béhavioriste parce que la compétence ne s’apprécie qu’en situation réelle au travers du résultat qu’elle génère et s’attache aux résultats de l’action ; conception cognitiviste parce que la compétence ne s’apprécie qu’individuellement et s’attache à ce qui permet d’engendrer l’activité de l’opérateur.

Cette double conception de la compétence n’est pas inintéressante car nous allons voir dans le champ des pratiques comme dans celui des savoirs scientifiques que les avis sont partagés et que, selon les cas, la compétence pourra être définie comme relevant tout à la fois d’un processus (combinaison de ressources qui permettent d’agir avec compétence / agir avec compétence) et/ou d’un état ( Résultat observable / être compétent). Elle sera tantôt du côté du béhaviorisme, tantôt de celui du cognitivisme et parfois entre les deux…

Quelles sont les approches que nous allons trouver concernant les ressources au service de cet être compétent ou de cet agir avec compétence  ?

Dans le champ des pratiques, les approches sont multiples (voire hétérogènes) et la manière de définir cet être compétent ou cet agir avec compétence dépend largement de la manière dont les gestionnaires et les managers les envisagent et se les représentent. Nous verrons que tel est le cas également du côté des disciplines.

Notes
22.

LICHTENBERGER Yves, op.cit p97

23.

OIRY Ewan « De la qualification à la compétence, entre rupture et continuité », Paris, L’Harmattan 2003

24.

LICHTENBERGER Yves, Op. Cit. p97

25.

LICHTENBERGER Yves, ibid pp97-98

26.

LICHTENBERGER Yves, ibid p99

27.

LICHTENBERGER Yves, ibid p99