2.2.2. La notion de compétence en sociologie

La sociologie étudie les multiples aspects du travail et de ce fait se montre la plus féconde lorsque l’on aborde la question de la compétence. Les études relatives à la notion de compétence découlent tout naturellement de nombreuses études menées par les sociologues autour du thème de la qualification qui a toujours été au cœur de leurs préoccupations en raison de son impact sur l’emploi, la rémunération, la division du travail, les changements techniques et organisationnels, etc. Les nombreux écrits sociologiques des années 70 et 80 témoignent d’une représentation du travailleur et du travail ouvrier. Marcelle Stroobants 34 fait remarquer qu’étudiant presque exclusivement les postes de travail et les tâches requises, les recherches sociologiques concluaient massivement à la confiscation autoritaire du savoir-faire de l’ouvrier et à son expropriation systématiques de l’organisation du travail. Durant cette période, on s’intéressait essentiellement à la qualification en tant qu’objet. Il fallut attendre le début des années 90 pour constater l’émergence de la notion de compétence en place et en lieu de la qualification (Y.Schwartz, 92 / M.Stroobants, 91 / P.Zarifian, 1999). Mais avant cela, les années 80 ont servi de transition en permettant à l’ouvrier de devenir salarié ou opérateur. Philippe Zarifian affirme dès 1999 que « le travail revient dans le travailleur » 35 en mettant en évidence que s’il existe un travail prescrit, il existe aussi un travail réel qui met en œuvre des stratégies cognitives ou des processus mentaux dont on ne peut déposséder les sujets au risque de ne pas voir le travail se faire. Sur les chaînes de montage, les compétences abstraites font leur apparition… Yves Lichtenberger (1999) voit dans ces transformations la promesse d’une satisfaction de la revendication syndicale qui a éclaté aux lendemains de mai 68, lors des grèves des ouvriers spécialisés de la métallurgie, comme une exigence de voir pris en compte le travail réel et pas seulement le travail prescrit. Autrement dit on peut voir là une logique de la compétence qui viendrait se substituer à une logique de poste afin que le travail soit réabsorbé par le travailleur qui le réalise (P.Zarifian, 2001).

Il est important de retenir est le fait que les sociologues avancent l’idée que la compétence ne peut exister sans reconnaissance sociale, c’est le regard normatif posé sur la mise en œuvre de la compétence qui reconnaît cette dernière à l’individu (cf. J.Merchiers, P.Pharo, 92 / P.Zarifian, 1999)

Il semble que ce soit les sociologues qui, les premiers, nous permettent d’affirmer que la compétence résulte sans doute plus d’un glissement sémantique que d’une idéologie nouvelle. En effet, on parle aujourd’hui d’intellectualisation croissante du travail en oubliant que de tout temps le tour de main de l’homme de métier n’a jamais été ni complètement, ni purement manuel, mais qu’il a toujours supposé la mobilisation de facultés intellectuelles et de connaissances implicites qui lui ont souvent permis de développer astuces, trucs ou pratiques buissonnières… pour atteindre ses fins. On peut donc conclure avec Marcelle Stroobants que « ces nouvelles compétences repérées ne sont sans doute pas le fruit d’une transformation radicale des pratiques d’emploi, mais l’effet de nouvelles représentations » 36 . On trouve parmi les sociologues des idéalistes car nombre de leurs textes sur les changements annoncés par la compétence continuent de relever du registre du discours. Françoise Piotet explique que si « les modèles de métier et de la classification/qualification sont des modèles descriptifs qui rendent compte de manière stylisée, des pratiques des acteurs ; le modèle de la compétence tel qu’il est par exemple présenté par Paradeise et Lichtenberger est d’une tout autre nature. Il ne rend pas compte d’une réalité en œuvre. Il est un modèle hypothétique, un scénario du souhaitable à visées normatives construit comme une opposition au modèle historique auquel on souhaite le substituer et que l’on utilise pour l’amender » 37 .

Notes
34.

STROOBANTS Marcelle in « Travail et Compétences : récapitulation critique des approches des savoirs au travail » in Formation Emploi n°33, mars 1991, p31

35.

ZARIFIAN Philippe, op.cit.

36.

STROOBANTS Marcelle, op.cit. p9

37.

PIOTET Françoise in « Compétence et ordre social » in « Réfléchir la compétence », Paris, Octarès, p34