Maurice de Montmollin fut l’un des premiers ergonomes à traiter de la notion de compétence. Elle apparaît pour la première fois dans ses écrits en 1984. Il défend alors l’idée que l’introduction du terme dans le vocabulaire de l’ergonomie sera utile pour décrire mais aussi expliquer les conduites professionnelles. D’une manière générale pour les ergonomes, l’évaluation des compétences ne peut se faire qu’en référence aux tâches à accomplir, et son objet ne peut être que descriptif ou explicatif des conduites humaines. Les analyses de compétences s’inscrivent dans la perspective d’interventions visant l’amélioration des conditions de travail, c’est à dire la recherche d’efficacité et d’efficience.
Le concept de compétence n’est pas du tout classique en ergonomie comme peuvent l’être ceux de tâches, d’activité ou de charge de travail, il fait pourtant désormais partie du paysage.
Maurice de Montmollin rappelle que les processus d’identification des salariés se structurent autour d’une profession, d’un métier, c’est à dire de compétences professionnelles. Il définit alors les compétences comme des « ensembles stabilisés de savoirs et de savoir-faire, de conduites types, de procédures standards, de types de raisonnement que l’on peut mettre en œuvre sans apprentissages nouveaux » 38 . Plus tard (1991) il proposera de distinguer trois composantes de la compétence : les connaissances qui permettent de comprendre comment ça marche (ce que nous nommons habituellement les savoirs théoriques ou procéduraux) et peuvent être acquises par une formation préliminaire, les savoir-faire qui indiquent comment faire marcher (qui correspondent aux savoir-faire procéduraux) et les métaconnaissances qui permettent de gérer les connaissances et ne sont acquises que par l’expérience.
En 2001, introduisant l’ouvrage « Les compétences en ergonomie », il présenta d’autres caractéristiques de la compétence : « Les compétences d’un opérateur se définissent à partir de son travail, c’est à dire de ses activités, lesquelles se référent à des tâches. Activités qui ne sont pas déterminées seulement par ces tâches mais sont tributaires de caractéristiques spécifiques de l’opérateur qui a un passé, une histoire, une expérience. Il y a co-détermination ; les méthodes de description des compétences procèdent toujours d’analyses locales de son travail, et d’abord de ses activités ; compétences est de ce fait pluriel. Pour l’ergonome parler de la compétence d’un opérateur n’a guère de sens. Dans un premier cadre d’analyse, l’opérateur a autant de compétences que de tâches à accomplir » 39 .
Dans le sillage de Maurice de Montmollin, Jacques Leplat va s’interroger sur les bénéfices réels que l’on peut attendre de l’introduction d’une telle notion qui prête en définitive souvent à confusion avec celles d’habiletés, de savoir-faire, d’expertise ou de capacité (cf. les compétences en ergonomie). Il va alors distinguer deux conceptions de la notion, l’une béhavioriste, l’autre cognitive. La conception béhavioriste associe tout naturellement la compétence aux tâches que l’individu a à exécuter, son expression est alors liée au contexte. La conception cognitive fait de la compétence une stratégie, « un système de connaissances qui permettra d’engendrer l’activité » 40 . Il montrera qu’il n’existe pas de correspondance simple entre tâche et compétence puisque les mêmes exigences peuvent être satisfaites par des compétences différentes.
Sur le plan pratique et fonctionnel, Jacques Leplat 41 apporte un éclairage fondamental en dégageant cinq traits caractéristiques des compétences : elles sont finalisées, apprises, organisées, abstraites et hypothétiques. Ces caractéristiques ne sont pas sans conséquence pour les systèmes de gestion et de développement des compétences, et non sans parenté avec l’ergonomie cognitive qui ira jusqu’à devenir la psychologue ergonomique cognitive (Cf. Jacques Leplat). Apprises va dans le sens de Maurice de Montmollin lorsqu’il explique que « les compétences sédimentent et structurent les acquis de l’histoire professionnelle » 42 . Abstraites également lorsqu’il défend l’idée que « les compétences sont des structures mentales où s’articulent tout ce avec quoi l’opérateur réalise une tâche (ici considérée sous ses aspects cognitifs (…). [Et que] les compétences permettent l’anticipation des phénomènes, l’implicite dans les instructions, la variabilité dans la tâche » 43 .
Pour l’ergonome, l’opérateur qui multiplie les erreurs et les échecs acquiert le même statut épistémologique que celui du champion dans sa profession.
La place du « cognitif » et des « situations cognitives » 44 dans l’usage qui est fait des compétences par les ergonomes nous amène à penser que les systèmes de gestion des compétences peuvent très vite s’avérer de véritables usines à gaz au regard de l’hétérogénéité des compétences inter et intra individuelles.
DE MONTMOLLIN Maurice op.cit p122
DE MONTMOLLIN Maurice, op. cit. p7
AUBREY Jacques et al. in « Savoir et pouvoir », Paris, PUF 1993, p26
LEPLAT Jacques in « L’analyse du travail en psychologie ergonomique », Paris, Octares 1992, pp265-266
DE MONTMOLLIN Maurice, op.cit. p11
DE MONTMOLLIN Maurice, op.cit. p13
= situations de résolution de problèmes