C’est Philippe Zarifian qui fut l’un des premiers à repérer les principes structurants de l’organisation qualifiante à l’occasion d’une recherche menée au sein du groupe BSN (devenu Danone) au début des années 90. La paternité du terme revient à Antoine Riboud PDG de ce même groupe 117 . Pour Antoine Riboud, cette organisation qualifiante est « flexible, ouverte à l’autocontrôle et à la décentralisation des responsabilités, dépourvue de barrières hiérarchiques ou de cloisonnements entre ateliers ou services différents, propice à la mobilité des salariés, fondée sur la polyvalence et perfectible en permanence en fonction des niveaux de formation atteints » 118 .
Quelle étrange ressemblance dans cette description avec les organisations qu’on qualifie de nouvelles ou en voie de modernisation… Si on s’en tient là, il est certain que rien ne garantit des apprentissages en situation de travail, car suffit-il par exemple de décloisonner les ateliers pour apprendre? De mettre les salariés de différents métiers autour d’une table pour apprendre ? La relation de cause à effet n’est pas jouée d’avance.
De nombreux travaux sur la question des organisations qualifiantes suivirent le « Rapport Riboud » notamment ceux de Christian Sauret 119 (à qui revient sans doute la première tentative de conceptualisation), de Philippe Madelin 120 , de Dominique Thierry 121 , de Géraldine de Bonnafos 122 , de Michel Parlier (1995, 1996) et bien sûr de Philippe Zarifian. Martine Aubry reprit même le terme en 1992 pour en faire l’un des deux axes de développement de la politique du Ministère du Travail qu’elle dirigeait alors. Tous confèrent à l’organisation qualifiante le pouvoir de développer les compétences, et parfois la qualification (sur ce point, les avis sont partagés en fonction de la manière dont on se représente la qualification : diplôme ou acquisition de savoir-faire socialement validés). Elle annoncerait une évolution des modes de gestion et de mobilisation de la main d’œuvre, tout en mettant en scène une nouvelle représentation de la professionnalité selon Alain D’iribarne 123 . Philippe Zarifian 124 n’hésitera pas à en faire la matrice d’un nouveau modèle productif posé comme alternative au taylorisme. La notion d’organisation qualifiante s’affirme ainsi dès ses origines comme un idéal-type, une sorte d’organisation cible qui permettrait pour Christian Maroy 125 « De faire de l’organisation le lieu de production de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs, de leur appropriation reconnue par les salariés, tout en assurant l’adaptation de l’entreprise aux données changeantes du contexte ». Sur ce point précis, peu de différence avec l’organisation apprenante !
Cette expression sera abondamment reprise par les consultants. Rien d’étonnant à cela dans une période où l’on ne cesse d’affirmer que la compétitivité des entreprises repose sur la capacité des hommes à apprendre : le premier attribut de l’organisation qualifiante étant précisément l’apprentissage permanent de ses membres.
On peut s’étonner avec Sophie Marie-Girault du peu d’intérêt des chercheurs sociologues pour l’organisation qualifiante et se questionner comme elle : « Ce manque d’intérêt des chercheurs-sociologues pour l’organisation qualifiante est-il dû à l’impossibilité de la constituer en objet de recherche ou est-il implicitement admis chez eux que l’organisation qualifiante est un non-sens ? » 126 .On trouvera principalement présents sur ce champ de réflexion, Philippe Zarifian et quelques-uns de ses collègues du LATTS. Quant aux psychologues cogniticiens, ils se sont bien plus intéressés à la notion d’apprentissage organisationnel qu’à celle d’organisation qualifiante. On peut s’étonner de ne pas voir des amitiés se nouer entre psychologues, sociologues et économistes pour tenter d’éclairer la problématique de l’organisation qualifiante. Peut-être ce manque d’intérêt s’origine-t-il dans le manque d’expériences probantes… On observe bien plus des dynamiques qualifiantes que des organisations qualifiantes, et ce notamment au travers de l’instauration de structures plus participatives. Ce constat d’expériences non-probantes ne vaut-il pas aussi pour les organisations apprenantes, l’apprentissage organisationnel, et le management des connaissances ? Personne n’a pu jusqu’ici chiffrer le retour sur investissement de telles organisations !
Les expériences d’organisations qualifiantes restent le fait d’un nombre limité d’entreprises 127 mais elles ont permis d’illustrer la difficulté à penser conjointement les évolutions dans les domaines technique, économique et social.
Le terme apparu pour la première fois dans le rapport au Premier Ministre d’Antoine Riboud « Modernisation, mode d’emploi » en 1987 (Editions Christian Bourgois) qui se présente comme un véritable plaidoyer en faveur des organisations qualifiantes . Ce rapport s’inscrivait dans la suite des convictions qu’il défendait depuis le début des années 70 et qui avait permis à BSN – DANONE de stabiliser le concept et les démarches de stratégies socio-économiques à travers de la notion très officielle de double projet : projet économique et projet social. Il explique dans ce rapport que l’élévation continue des compétences aurait des retombées positives sur la qualité des produits et donc la capacité concurrentielle des entreprises.
RIBOUD Antoine in « Modernisation, mode d’emploi », Paris, Editions Christian Bourgois 1987, p105
SAURET Christian in « Les organisations qualifiantes » Rapport Entreprise et Personnel, Boulogne, avril 1989
MADELIN Philippe in « Les organisations qualifiantes aujourd’hui » in Bulletin Développement et Emploi, Clichy, n°34, juillet 1992
THIERRY Dominique in « Organisations qualifiantes : quelle définition et quelle méthode d’évaluation ? » in Education Permanente n°112, octobre 1992, pp23-30
DE BONNAFOS Géraldine in « L’organisation qualifiante, théories et réalisations », Rapport Entreprise et Personnel, Boulogne, Mars 1994
D’IRIBARNE Alain in GRIMAND Amaury in « L’organisation qualifiante entre autonomie et contrôle » in Revue Française de Gestion n°32, juillet-août 1999, p109
ZARIFIAN Philippe (1999), op.cit p167
MAROY Christian in GRIMAND Amaury in « L’organisation qualifiante entre autonomie et contrôle » in Revue Française de Gestion n°32, juillet-août 1999, p109
MARIE GIRAULT Sophie (2001) op. cit p53
Pour les plus connues, logique compétence pour BMW, Human Ware pour les transplants des usines japonaises, ACAP 2000 pour Usinor Sacilor, Accord à Vivre pour Renault, les groupes responsables à EDF GDF, Ingénierie de la formation en alternance chez Motorola, Organisation qualifiante à la CPAM de Lyon, Equipes à Responsabilités Elargies chez Canson, etc.