Différentes raisons ont milité en faveur de l’émergence et du succès de la notion d’organisation qualifiante… Elle s’origine dans une double imbrication économique et sociale et peut-être même sociétale.
Dans un premier temps explique Philippe Zarifian 128 , il s’est agi de faire face à un problème aigu de requalification des ouvriers faiblement qualifiés. Les transformations des contenus de travail l’imposaient (technologisation, robotisation, informatisation, etc.). Il est apparu que les formations de type scolaire seraient inadaptées pour faire face à ces transformations. Bertrand Schwartz l’a d’ailleurs largement montré à travers ses actions du CUCES de Nancy au moment de la requalification des ouvriers du bassin minier lorrain 129 .
Dans un second temps, l’idée d’organisation qualifiante va être étendue à une gamme beaucoup plus large de salariés, tous ceux qui sont confrontés à des changements rapides de leur activité professionnelle et qui doivent faire évoluer leurs compétences en conséquence. Sur le plan économique les organisations se doivent d’être évolutives et transformables explique Philippe Zarifian parce que « Le contexte économique est extrêmement instable, extrêmement mouvant, extrêmement incertain et on ne sait pas si cela durera ou pas [et que] les évolutions techniques, économiques et organisationnelles font évoluer les contenus des emplois » 130 et donc les besoins en compétences. Il s’agit de s’adapter en permanence à ces évolutions en misant sur le développement concomitant des compétences des hommes et des organisations afin de ne pas générer exclusion économique et exclusion sociale.
Enfin dans un troisième temps et ceci de manière plus réflexive et conceptuelle, l’idée d’organisation qualifiante va être associée aux mutations de fond qui affectent la relation du travailleur à son travail. Les organisations qualifiantes apparaissent comme un modèle alternatif aux organisations bureaucratiques et/ou tayloriennes qui se caractérisent par une division rigide du travail, des règles et des procédures qui ne peuvent répondre aux enjeux des organisations évolutives. A l’opposé ces organisations se caractérisent par le développement du travail collectif dans les équipes, une diminution des niveaux hiérarchiques, l’émergence des notions de « responsabilisation » et d’« autonomie », la décentralisation de l’analyse, de la prise de décision, du choix et de l’action, etc. Ces transformations conduisent les acteurs économiques et sociaux à réfléchir au fait que la dynamique de l’organisation est aussi importante qu’une réflexion sur sa structure. Nous allons tenter cette réflexion.
ZARIFIAN Philippe in « Organisation apprenante et formes de l’expérience », Colloque « Constructivismes : usages et perspectives en éducation », Genève, 8 septembre 2000
Issue la plupart du temps d’une relation d’échec avec le milieu scolaire ou n’ayant pu aller à l’école, la population ouvrière concernée par les actions du CUCES n’est ni motivée, ni prête à opérer une démarche de formation. Pour construire les formation on partit du milieu qu’elle connaissait et dans lequel elle avait acquis une expérience et des savoirs : celui de l’organisation du travail. On partit également d’un objet concret : l’activité industrielle, celle qui demandait précisément que ces ouvriers soient requalifiés, et l’on s’appuya sur les ressources de cette activité.
ZARIFIAN Philippe in « Du travail formateur aux organisations qualifiantes », Actualité de la formation Permanente n°133, 1994, p12