2.3.2. L’organisation qualifiante suppose une réorganisation de l’activité industrielle sur une base communicationnelle.

La compétence est distribuée entre les individus, les services et les ateliers ; et l’apprentissage intersubjectif.

Il s’agit de développer une communication active au sein des entreprises de manière transversale et pluriprofessionnelle parce qu’en toute logique la compétence est distribuée entre plusieurs individus, voire plusieurs services ou ateliers. Aucun individu ne peut détenir la totalité des savoirs nécessaires à la réalisation d’un produit ou d’un service. « Si l’apprentissage ressortit toujours à l’individu, ses conditions sont intersubjectives, c’est à dire qu’elles dépendent de la qualité de communication qui peut s’établir entre personnes ayant des savoirs, des expériences, des points de vue différents mais complémentaires » 147 . La notion de complémentarité est intéressante car elle induit que l’on ne peut apprendre qu’à cette condition, c’est pourquoi Philippe Zarifian identifie trois conditions permettant à la communication d’être porteuse d’apprentissages nouveaux :

« Elle doit se réaliser sur une base pluriprofessionnelle » 148 , non pas en abolissant les spécificités professionnelles mais en déplaçant le cadre de référence. Ceci n’est possible qu’en substituant l’opposition généraliste/expert à l’opposition traditionnelle qualifié/non qualifié, où les uns et les autres coopèrent en permettant aux uns de devenir plus experts (expertise du fonctionnement productif) et aux autres plus généralistes (garant du bon fonctionnement des installations). Cela suppose un postulat de départ : une personne n’est pas compétente une fois pour toutes, sa compétence est susceptible d’évoluer et donc de se développer.

« La communication doit engager la définition d’objectifs communs et une coresponsabilité dans leur recherche » 149 . Prenant toujours l’exemple des agents d’exploitation et des techniciens de maintenance, Philippe Zarifian montre qu’en effet si un groupe social est jugé sur le débit de production et l’autre sur le taux de disponibilité machine, le conflit ne peut que s’installer, par exemple, sur le temps d’arrêt des machines pour aller au fond des causes des pannes. Alors que si les deux groupes poursuivent et partagent un objectif commun, la communication et l’échange des savoirs sont admis et pratiqués. Ainsi « Pour qu’il y ait communication et donc compréhension réciproque, il faut qu’un accord se construise, à la fois sur la nature des connaissances que l’on mobilise et sur la validité des objectifs que l’on cherche à atteindre ensemble » 150 . Ce n’est pas sans poser de questions dans un tissu industriel où la notion de métier, de  gens de métier, est encore très présente et autour de laquelle l’instinct de préservation et d’identité professionnelle se cristallisent. On pourra à ce sujet s’intéresser à l’ouvrage de Florence Osty, « Le désir de métier : engagement, identité et reconnaissance au travail » 151 . Les nouvelles organisations se caractérisent-elles par la nécessité de faire disparaître plus ou moins cette notion de métier dès lors que le contour des emplois s’élastifie et s’opacifie, très bien incarné par la notion de polyvalence et le développement de processus de décloisonnement des services et des ateliers.

Enfin, la communication se doit d’élaborer progressivement un langage partagé. Si c’est une banalité de l’affirmer, cela n’a rien de naturel dans les entreprises issues du taylorisme où le cloisonnement entre emplois, fonctions et service a vu se développer une mosaïque de langages particuliers, de jargons professionnels, destinés à se protéger de la hiérarchie ou des autres groupes sociaux. On pourra à ce sujet s’intéresser ici aux travaux de la sociologie des acteurs ou de l’analyse stratégique. Pour nous limiter toujours à l’exemple de la panne, de nos opérateurs de production et de nos agents de maintenance, « La communication se créée lorsque des termes identiques et précis sont acceptés pour formuler des diagnostics et désigner les différents constituants d’un système technique » 152 . Cela suppose une diffusion des savoirs mais aussi une production commune de ces derniers afin d’éviter tous les freins psychoaffectifs qui peuvent survenir lorsque l’on peut parfois se sentir « dépossédés » de ses savoirs ou de sa pratique.

Notes
147.

ZARIFIAN Philippe (1992), op. cit p17

148.

ZARIFIAN Philippe, ibid

149.

ZARIFIAN Philippe, ibid p18

150.

ZARIFIAN Philippe, ibid

151.

Cf. OSTY Florence in « Le désir de métier : engagement, identité et reconnaissance au travail », Presses Universitaires de Rennes 2003

152.

ZARIFIAN Philippe (1992), op. cit. p19