2.3.4. L’organisation qualifiante est celle qui permet à chaque individu de se projeter dans l’avenir

Les psychologues ont depuis longtemps mis en évidence le rôle clé de la notion de projet dans la capacité des individus à construire leur avenir… Et les théoriciens de l’autoformation ont beaucoup défendu cette idée. Faut-il encore que l’organisation autorise ce type de démarche projective.

La thèse développée ici par Philippe Zarifian est que « La capacité des individus à se projeter positivement dans l’avenir dépend, sur le plan organisationnel, de la possibilité de concilier l’expression de ses mobiles personnels avec une démarche de projet au sens industriel du terme » 162 . Ainsi si l’horizon de l’activité de travail reste ouvert et laisse place à la projection personnelle, chacun doit pouvoir se projeter dans l’avenir autour d’une réalisation projetée dans le temps (que cela soit des micro ou des macro projets) et dans laquelle chacun peut s’inscrire (exemples : lancement d’un nouveau produit, construction ou implantation d’une nouvelle installation ou semi-automatisation de celle-ci, etc.). Chacun pourrait y investir ses inclinations personnelles, participer à des choses qu’il aime ou auxquelles il aspire ou pouvant servir ses objectifs propres (travailler par exemple avec le bureau d’étude sur un nouveau produit parce que l’on aspire à devenir technicien du bureau d’étude et que l’on est chef d’équipe). « La chronicité temporelle des projets est précisément ce qui permet à l’individu d’inscrire un avenir, de sortir d’une temporalité circulaire qui enferme dans la routine » 163 .

Ce principe est sous-tendu par un principe de modestie, car il serait illusoire de penser et d’affirmer que chacun pourra faire coïncider complètement (voire partiellement) ses aspirations personnelles aux projets conduits dans l’entreprise (exemple : un chef d’équipe qui veut devenir chauffeur de taxi et à qui l’on confie l’animation d’un audit de process). Ils peuvent cependant y participer (exemple : ce même chef d’équipe qui participe à un projet d’acquisition de nouvelles installations et qui profite du projet pour acquérir quelques bases de gestion et de comptabilité).

Ce principe suppose également un certain nombre de pré-requis : la capacité des individus à se projeter dans l’avenir et à s’inscrire dans les projets de leur entreprise, mais aussi une motivation à le faire (exemple : le fait de ne pas avoir de diplômes laisse parfois penser que l’on n’a pas d’avenir… et si à cela vient se surajouter une mauvaise expérience scolaire, l’idée d’en avoir un, un jour, est inconcevable).

Une question éthique se pose également en filigrane : comment les entreprises valorisent et reconnaissent les apprentissages effectués à ces occasions dès lors qu’elles les exploitent et c’est leur intérêt que de les voir se développer ?

Dans l’organisation apprenante, la ré-élaboration des objectifs de l’entreprise par les personnels qui y travaillent est fondamentale. Cette ré-élaboration va permettre aux uns et aux autres de s’impliquer, de s’investir dans le travail en vue de développer l’apprentissage organisationnel.

Dans l’organisation qualifiante l’enjeu est moins de développer les compétences collectives qu’individuelles. On essaie d’abord de permettre à chacun de se projeter dans l’avenir en fonction des projets de l’entreprise en favorisant son implication dans le travail.

Notes
162.

ZARIFIAN Philippe (1992) op. cit. p20

163.

ZARIFIAN Philippe, ibid p21