2.4. En conclusion…

Si les nouvelles organisations ou les organisations évolutives génèrent des compétences et des raisons pour les acquérir, elles ne sont pas pour autant qualifiantes. Il ne suffit pas de produire des compétences pour qu’une organisation soit qualifiante. Le développement des compétences ne produit pas forcément une intelligence des situations de travail.

L’organisation qualifiante est une organisation génératrice de sens, elle donne du sens aux actes et aux contenus de travail, mais aussi à l’environnement dans lequel ils s’inscrivent. Ce qui lui permet de poursuivre explicitement deux objectifs : l’efficacité économique et la capacité formative. Efficacité économique parce qu’elle permet une meilleure implication de ses salariés, et cette implication se traduit en résultats économiques. Capacité formative parce qu’au-delà de l’acquisition de gestes professionnels, elle favorise une ouverture d’esprit sur le contexte de travail permettant à chacun de mieux comprendre l’environnement dans lequel s’inscrit son action.

Une telle démarche induit de nombreux changements, que cela soit pour l’organisation, pour les salariés ou tout simplement pour les acteurs de la formation. En effet l’intégration et la valorisation de la formation au sein des processus de travail posent avec acuité la question de la qualification des responsables de formation d’entreprises, surtout à partir du moment où la distance entre formation et production s’estompe. Le rôle du responsable de formation, dans une telle perspective, tend à s’éloigner de plus en plus de celui de gestionnaire du plan de formation et tendrait à se rapprocher de celui qui aide l’organisation à apprendre mais surtout à faire apprendre.

Une autre question nous vient à l’esprit et celle-ci de nature plus philosophique. A trop vouloir rapprocher la diffusion et les diffuseurs de la connaissance des acteurs et des lieux de son utilisation, ne risque-t-on pas de supprimer une distance dont le parcours définit l’acte même de former ? Détruire ce moment que René Kaës définit « d’entre deux »… tout comme sur un autre registre, la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) ne risque-t-elle pas de supprimer l’expérience du groupe comme expérience de formation ?

Les organisations qu’elles soient qualifiantes ou apprenantes peuvent-elles se rapprocher de ces lieux paradisiaques que nous promet la littérature ? Rêve ? Mythe ? Ou possible réalité ?

Il semble difficile d’imaginer que les individus et les collectifs qui peuplent les organisations puissent apprendre en permanence. Apprendre est un processus long et coûteux pour les individus. Il y a sans doute 1) à repérer des moments caractéristiques ou des moments forts d’apprentissage, de transmission ou de développement professionnel tels que l’entrée dans l’entreprise, une prise de responsabilité, une mission ou une tâche nouvelle, etc., 2) et à distinguer ce que Paul Olry nomme « le travail à apprendre » et « le travail pour apprendre ». Le travail à apprendre concerne les situations où il s’agit « d’acquérir des gestes professionnels, des connaissances sur l’installation, le produit, le matériel. Il [le salarié] s’apprête à percevoir les régularités de mise en œuvre des procédures, consignes et gestes, à comprendre les logiques du rythme quotidien, les variations dans les séquences d’activité. A l’usage, sur ces pratiques progressivement construites, il pourra mettre des mots pour décrire ses compétences, telle que repérer l’état de la qualité du produit, anticiper les réactions d’un calculateur, etc. » 164 . Le travail pour apprendre consiste en des activités d’apprentissages parallèles, « par exemple pour prioriser les informations qu’il reçoit selon l’importance de qui les transmet, pour en mesurer l’urgence d’exécution, pour en saisir les causalités, non en ce qui concerne son poste de travail, mais au niveau de l’atelier, du hall, voire de l’entreprise. Il [le salarié] se construit ainsi des représentations des situations et non plus seulement de l’activité mais du travail. Il doit également appréhender l’environnement de son poste de travail, de son emploi : le circuit du produit, la gestion des flux, les processus de décision, les hiérarchies à respecter, les procédures de contact avec la maintenance par exemple. Enfin il apprend avant tout à connaître ceux qui dans son équipe sont susceptibles de lui transmettre l’ensemble de ce qui vient d’être évoqué » 165 .

Les frontières entre ces organisations n’apparaissent pas étanches et ceci a contribué à la confusion qui subsiste dans l’utilisation de l’un ou l’autre de ces termes. Le développement des principes fédérateurs de l’organisation qualifiante par Philippe Zarifian nous semble constituer les conditions essentielles pour permette à une organisation de devenir apprenante… si tant est que les organisations puissent apprendre… Or sur le plan théorique, de nombreuses zones d’ombre subsistent. Toujours est-il que nous sommes en droit de nous demander si avant d’être apprenante, il ne faudrait pas apprendre à être qualifiante !

En tout état de cause, il nous semble que ces expressions incarnent un mouvement que l’on ne peut ignorer aujourd’hui :

Elles signent le passage de la qualification à la compétence

Mais elles signent aussi le passage d’une logique de formation à une logique d’apprentissage

Et sans doute de l’ingénierie des compétences à l’ingénierie de professionnalisation.

Selon cette évolution qui n’en est pas une mais qui se perpétue selon nous au travers du management par les compétences, les responsables de formation auraient à devenir des organisateurs des situations d’apprentissages et pas seulement de formation. Les organisations qu’elles soient qualifiantes ou apprenantes constituent dans tous les cas une voie royale pour le développement des compétences.

Enfin on retrouve au travers de ces expressions ou de la promotion de l’idée d’apprentissage permanent par et dans le travail, d’appropriation des savoirs dans et par l’action, l’idée de learning life, d’éducation permanente ou de formation tout au long de la vie.

Dans la suite de ce travail l’expression d’organisation qualifiante est celle que nous retiendrons parce qu’elle est la seule à restreindre son champ d’action à l’organisation du travail et qu’elle nous apparaît plus large que les autres :

L’organisation qualifiante vise le développement des compétences en agissant sur l’organisation. L’organisation apprenante se saisit des apprentissages individuels pour agir sur l’organisation.

L’organisation apprenante obéit à une logique de connaissance. L’organisation qualifiante obéit à une quadruple logique : de connaissance mais aussi économique, technique et sociale.

Le fait d’être une nouvelle organisation, une organisation moderne ou post-moderne n’implique pas l’existence d’une organisation qualifiante. On spécule plus sur la survenance d’effets formateurs de l’organisation du travail que l’on ne maîtrise sur le plan pratique les conditions de leur production !

Ce qui nous a semblé alors important fut non pas de qualifier les entreprises étudiées de qualifiantes ou de non qualifiantes mais de mieux circonscrire les situations donnant lieu à des apprentissages, au développement des compétences. Peut-être pourrions-nous parler de « Transformation qualifiante » 166 à l’instar de François Beaujolin.

Notes
164.

OLRY Paul in « Entreprise et formation, quelles pratiques développer ? », Actualité de la formation permanente n°154, mais juin 1998, p69

165.

OLRY Paul, ibid p70

166.

BEAUJOLIN François in « Vers une vraie organisation apprenante », Paris, Editions Liaisons 2001, p21