Nous avons choisi trois entreprises d’une branche industrielle et deux entreprises d’une branche tertiaire vivant des mutations organisationnelles (changements touchant l’organisation du travail) et économiques (changements liés à la tertiarisation de l’industrie et l’industrialisation du tertiaire).
Nous supposions que ces mutations bouleversaient les pratiques professionnelles de chacun de ces secteurs d’activités et qu’il serait intéressant de comparer ce qui y était mis en œuvre en termes de développement des compétences.
Les cinq entreprises que nous avons observées ont profondément évolué au cours de ces deux dernières années : raccourcissement des lignes hiérarchiques, transversalité et processus, organisation en projet, polyvalence et groupes autonomes, décentralisation et subsidiarité, automatisation ou technologisation… sont les principaux mots d’ordre en matière d’organisation et de management. Elles se sont ainsi engagées dans un processus de mutations profondes concernant différentes dimensions de leurs activités, leurs métiers, leurs emplois voire leurs qualifications. Les enjeux posés sont à la fois de nature productive et de nature humaine : ils touchent aussi bien la production, l’organisation, les technologies utilisées que les compétences à mobiliser…
Notre choix s’est porté sur deux secteurs particuliers : celui de la plasturgie et celui de la logistique.
La plasturgie comporte trois métiers distincts : l’injection, l’extrusion et le thermoformage. Les entreprises relevant de ces métiers fabriquent des produits propres, des produits à façon ou de sous-traitance, etc. Nous avons opté pour l’injection afin d’avoir des éléments de comparaison entre les entreprises.
Dans la plasturgie, la maturité économique, managériale et commerciale est très différente selon les structures. Certaines grâce à une politique volontariste, se positionnent clairement sur des segments précis de marché, d’autres subissent la pression de leurs donneurs d’ordres et évoluent au gré des opportunités que leurs clients leur proposent.
Dans les domaines de la formation et du recrutement, les entreprises fonctionnent en vase clos. On fait très peu appel à la formation externe. Beaucoup d’entreprises utilisent exclusivement le type de formation dit « sur le tas », qu’il s’agisse de formation technique sur le métier de base ou de formation plus générale de type informatique. En ce qui concerne le recrutement, les candidats recherchés sont ceux qui ont une expérience du secteur, voire du métier. La profession recrute peu de transfuges d’autres secteurs même pour le personnel cadre.
Tous types d’entreprises se côtoient dans le secteur : de la micro entreprise (2/3 des entreprises ont moins de 20 salariés), sous-traitance de second rang à l’établissement de plusieurs centaines de personnes appartenant à un groupe international.
Dans la plasturgie, les prix, la qualité des produits et la qualité des services sont des exigences de premier ordre, les entreprises ne peuvent s’y soustraire 174 . Il apparaît cependant très nettement que l’orientation vers l’offre d’une fonction, d’une solution globale va devenir un enjeu stratégique déterminant dans la pérennité des entreprises. Le développement de l’offre étude-conception leur permet de se positionner dans une logique d’offre et plus seulement en réponse à une demande précise avec présentation de devis, et parallèlement les pousse à développer leur technicité et leur sens client (anticipation de ses besoins).
En parallèle, les entreprises sont obligées de faire évoluer certains emplois et certaines compétences :
Ceux des chefs d’équipe : ils sont responsables de l’application des plans de production quotidiens en étant personnellement impliqués dans le travail de la production. On attend d’eux qu’ils deviennent de vrais animateurs d’équipes (informer, expliquer, former…) mais aussi animateur du système qualité (contrôler, corriger, suggérer des améliorations). Les compétences de « bon technicien » et de « bon manager » sont difficilement compatibles. On assiste à l’émergence de certaines organisations qui confient la responsabilité technique à des experts et l’animation d’équipe à des chefs d’équipe managers. Aujourd’hui les chefs d’équipe ont plutôt un niveau BEP, Bac pro. Le niveau devrait s’élever.
Ceux des Monteurs-régleurs : Fonction essentiellement technique qui nécessite un bon niveau de connaissances en plasturgie et mécanique, mais surtout une bonne maîtrise du procédé de l’entreprise. Cette maîtrise ne peut s’acquérir qu’au sein même de l’entreprise, ce qui explique que la majorité des recrutements s’effectue par la voie de l’alternance. Le recrutement est externe dans 40% des cas. Le recrutement par promotion interne d’opérateurs est souvent accompagné de programmes de formation. 65% d’entre eux assument un rôle de chef d’équipe lors des équipes de nuit et de WE, ils doivent alors intervenir sur un champ plus vaste qui recouvre des compétences d’organisation et d’animation.
Ceux des Ouvriers qualifiés : Compétences requises essentiellement techniques. Ce sont souvent les entreprises qui assument leur formation en interne car la diversité des techniques utilisées rend difficile leur formation en amont.
Ou encore ceux des Opérateurs ou conducteurs de machines : la plupart des entreprises ont la volonté d’augmenter la valeur ajoutée des opérateurs et pour cela leur confient d’autres missions que celles de produire (contrôle, maintenance…). Ceci nécessite de faire évoluer les personnes en place, dans leur rôle et leurs compétences. Pour le recrutement, le niveau requis s’élève, notamment en ce qui concerne la maîtrise de la langue française. Certaines entreprises font marche arrière pour des raisons de productivité, de complexité machine ou d’exigences clients et retirent les compétences de contrôle ou de maintenance et recrutent les opérateurs sur des missions de production.
La logistique s’est naturellement imposée à nous car c’est un secteur d’activité qui aujourd’hui subit de nombreux bouleversements technologiques et économiques. Ils ont des incidences sur la manière d’organiser le travail et de gérer les compétences. L'évolution de la logistique est étroitement liée aux paramètres économiques notamment celui de la croissance. Cette conjoncture se caractérise par une croissance chaotique de 1993 à 1995, puis une croissance soutenue sous l'impulsion de la demande intérieure entre 1996 et 2000 et un coup d'arrêt sérieux de la croissance de 2001 à 2003 avec un espoir de reprise en 2004.
La proportion des entreprises qui recrutent suit à peu près la même logique conjoncturelle que celui des effectifs : des niveaux de recrutements élevés pendant les années de forte croissance - à l'exemple de l'année 2000 (51%) - , et inversement des niveaux de recrutement à la baisse pendant les années de faible croissance 1995 et 2003 (16 % et 37 %). On observe cependant des logiques d'une autre nature. Les entreprises réajustent leurs recrutements en fonction de leur anticipation sur l'avenir ou par rapport à d'autres facteurs exogènes. Ainsi l'année 1997, en dépit d'une croissance soutenue, s'est caractérisée par une légère pause après la très forte augmentation des recrutements en 1996.
L’intérim se banalise et n’a cesse de progresser. 42 % des entreprises ont déclaré y avoir recours en 1996 contre 64 % en 2003. L'un des freins à cette évolution peut provenir, en période de croissance et de baisse du chômage, de la difficulté à faire face aux besoins du marché.
Il est à noter que la conjoncture joue à hauteur de 46,9 % dans les motifs de recrutement pour les opérateurs alors que la réorganisation des services logistiques est plus souvent invoquée pour le recrutement des cadres. En revanche les départs à la retraite ne sont pas encore un facteur déterminant de recrutement et le turn-over reste élevé comme en témoigne le pourcentage des remplacements.
Les formations initiales logistique ont gagné en légitimité. C'est un changement substantiel qui concerne toutes les catégories d'emploi. Le pourcentage des entreprises tenant compte des formations initiales spécifiques à la logistique est passé de 11 % en 1994 à 49 % en 2004 pour les cadres, techniciens et agents de maîtrise, de 6 % à 34 % pour les opérateurs.
Le niveau d’exigence en termes de qualification augmente : Bac + 4 pour les cadres, BTS et DUT pour les techniciens et agents de maîtrise, titres professionnels du Ministère du travail pour les opérateurs.
La formation est en progression dans ce secteur. Les besoins en formation continue sont structurés autour de quelques thèmes principaux. Pour les cadres, les techniciens/agents de maîtrise, la structuration s'est opérée autour des thèmes liés au management, à la sécurité et à une meilleure maîtrise des outils de gestion logistique. Pour les opérateurs, elle a été marquée par la consolidation des besoins en formation recouvrant les risques professionnels, la conduite puis la démarche qualité/norme ISO, la maîtrise de l'outil informatique, le travail en équipe et la récurrence des problématiques liées à la sécurité, la conduite d'engins (CACES)
Quel que soit le secteur, la réduction des coûts arrive en tête des objectifs mentionnés par les entreprises, particulièrement dans le commerce et l'agroalimentaire. A la fois récurrent et plus prononcé en période de ralentissement de la conjoncture, cet objectif est à mettre en relation avec le développement d'une logistique d'approvisionnement au niveau national ou international et le retrait des sous-traitants internationaux au profit de ceux situés à proximité des lieux de production ou de distribution.
Le deuxième objectif est celui d’une amélioration du service.
Avec une croissance économique proche de zéro, les entreprises industrielles et commerciales ont « réduit leur voilure ». Cette tendance s'accompagne d'une moindre proportion des prestations offertes par les prestataires de services en transport-logistique, exception faite de la fonction achat qui progresse. Ce recul des prestations offertes entraîne un renforcement de la concentration et de la spécialisation des prestataires de services en transport-logistique. Pour 50 % de ces entreprises de plus de 500 salariés, la logistique représente plus de 75 % du CA total.
Elles agissent sur les prix (en défendant la marge) et la qualité grâce : à la réduction des coûts (flexibilité, automatisation, amorce des procédés…), à la délocalisation d’activités à faible valeur ajoutée (Afrique du Nord, Pays de l’est, Asie du Sud Est), au changement de marché (développement de produits propres, diversification) ou au recentrage produit (spécialisation sur un type de marché ou un type de produits), à l’intégration d’activités amont et/ou aval (conception, mouliste, assemblage, décoration…), en modifiant leur structure (développement de l’organigramme amont, besoin d’encadrement, modes de travail en équipe, systèmes de communication…)
Les commentaires qui suivent proviennent d’un travail d’enquête Réalisé par le Département des Etudes et Recherches du Groupe AFT-IFTIM (2003). Elle porte sur les évolutions en matière de stratégie et d'organisation logistique, d'emploi, de recrutement et de formation. L'enquête est basée sur une population de référence constituée en 2003 de 5 600 établissements. Le champ recouvre les secteurs d'activité qui relèvent de la nomenclature NAF 700 de l'Insee et qui se répartissent en six secteurs d'activités retenus en fonction de leur poids en effectifs logistiques sur la base du recensement de la population de l'Insee, en l'occurrence : l'industrie agroalimentaire, la pharmacie-parfumerie, l'industrie automobile, la chimie, le commerce et les prestataires de services en transport-logistique.