L’organisation du travail, selon la forme qu’elle prend, génère des pratiques professionnelles particulières, spécifiques. Certaines de ces pratiques professionnelles permettraient à l’individu de tirer des leçons de son expérience, de prendre conscience du pourquoi du comment de ses gestes et de ses comportements professionnels, de structurer, de renforcer ou de corriger ses schèmes d’action ou ses représentations, de donner du sens à son travail, de développer ses compétences…
Ces organisations où l’on pourrait apprendre en travaillant et apprendre du travail sont nommées « organisations qualifiantes ».
Notre recherche empirique s’est attachée à comprendre comment le cadre organisationnel dans lequel s’inscrivent les situations de travail définit en partie les possibilités, les limites, et donc les conditions de mise en œuvre de processus d’apprentissages.
Pour cela nous avons cherché à repérer des « situations porteuses d’effets d’apprentissages », des « situations potentielles d’apprentissages » et ce, en nous intéressant à la manière dont les salariés construisent, échangent, consolident ou transmettent leurs savoirs ou leurs compétences, dans cinq entreprises 180 .
Ces cinq entreprises sont issues des secteurs professionnels de la plasturgie et de la logistique. Elles ont été choisies après une enquête exploratoire auprès de plusieurs branches professionnelles et organisations patronales. Une fois les deux secteurs définis, nous avons conduit des entretiens exploratoires dans vingt-huit entreprises avant de sélectionner les cinq entreprises en question.
Ces dernières ont été choisies, non parce qu’elles affichent une volonté de rendre le travail formateur, mais pour les mutations économiques, technologiques et sociales qui les touchent et qui se traduisent par un triple enjeu : un enjeu de requalification ou de repositionnement des acteurs, la nécessité de rendre évolutive leurs structures ainsi que celle de développer la performance de l’organisation elle-même. Ces changements majeurs affectent leurs configurations organisationnelles et de facto, les compétences requises pour tenir les emplois.
Nous sommes partie d’une vision macroscopique de ces entreprises en repérant leurs caractéristiques contextuelles et organisationnelles. Pour ce faire, des entretiens ont été menés avec les dirigeants et l’encadrement de production. Il s’agissait d’appréhender chaque organisation du travail au regard de son contexte et de ses contraintes.
De cette vision macroscopique, nous sommes passée à une vision plus microscopique de l’organisation du travail afin d’identifier les contraintes et les ressources que cette dernière génère en termes de possibilités de développement des compétences ; et ce pour les acteurs de la production (Chefs d’équipe, Techniciens, Régleurs, Opérateurs) dans chacune des cinq entreprises.
Nous avons conduit au final cent-vingt entretiens, rencontré soixante-neuf personnes et rédigé cinq monographies que le lecteur trouvera en annexe.
Ce travail a permis d’identifier trois facteurs - deux organisationnels, un individuel - comme conditionnant les apprentissages en situation de travail. Il s’agit des processus de désenclavement du travail correspondant à la mise en œuvre de pratiques réflexives et réfléchies dans le travail, des processus de désenclavement du travail relatifs à la mise en œuvre de pratiques de coopération, de collaboration au sein du travail et/ou de pratiques de collectivisation du travail et des processus d’autodétermination soutendant des pratiques d’implication dans le travail auxquelles l’individu réagit.
Nous présenterons ces résultats dans un premier chapitre.
Parce que nos choix méthodologiques ne nous ont pas donné directement accès ni aux situations de travail, ni aux situations d’apprentissage mais à leur mise en mots, on peut nous reprocher de n’avoir pas suffisamment cherché à accéder aux traces ou aux preuves des activités d’apprentissages ou de développement des compétences. Pour corriger ce biais nous avons observé un dispositif organisationnel qui présente toutes les caractéristiques d’une « situation potentielle d’apprentissage », d’une « situation qualifiante ». Ce dispositif a pris la forme d’un groupe de travail.
Des groupes de travail fonctionnent dans trois des cinq entreprises. Dans deux d’entre elles, ils sont embryonnaires. Dans la troisième, ils sont en place depuis dix ans et l’un d’entre eux a la particularité de viser un double objectif de production et de formation. C’est ce groupe que nous avons suivi sept mois durant, à la fois du dedans et du dehors. Du dedans parce que nous assistions aux réunions, du dehors parce que nous interviewions, après chaque réunion, trois personnes en particulier : des Pilotes. Les entretiens portaient sur le déroulement des réunions et sur les effets de ces réunions en termes d’apprentissages et de développement des compétences.
Ce suivi a donné lieu à quarante-huit entretiens individuels post-réunions : deux à trois entretiens après chaque réunion par individu, un « à chaud » le lendemain de la réunion, un à deux autres « à froid » une à deux semaines après les réunions. Nous présenterons l’ensemble de nos observations dans un deuxième chapitre. Le lecteur qui serait soucieux de rencontrer le corpus brut de ces entretiens trouvera en annexe ces données ainsi que des témoignages circonstanciés 181 illustrant nos propos.
En conclusion, nous établirons un bilan de nos observations et reviendrons sur le lien organisation du travail et développement des compétences.
PASTRE Pierre in « L’ingénierie didactique professionnelle » in CARRE Philippe et CASPAR Pierre « Traité des Sciences et Techniques de la formation », Dunod 99, p409
Pour une description synthétique de ces entreprises, nous renvoyons le lecteur au troisième chapitre de la première partie de ce travail. Pour une description détaillée, nous le renvoyons aux monographies qui se trouvent en annexe.
Extraits d’entretiens bruts