2.1. Les situations réflexives informelles (non instituées)

Cette prise de distance relève majoritairement de processus d’autoformation, d’auto observation, d’autocorrection quel que soit le poste occupé.

La mise en œuvre des compétences tutorales s’appuie essentiellement sur l’expérience du travail, ses aléas, ses dysfonctionnements. Il s’agit d’abord d’éviter les problèmes aux nouveaux arrivants. L’instrumentation du tuteur passe par une auto mise à distance du travail quotidien mais également par le fait de vivre l’expérience tutorale.

Certains encadrants tentent d’institutionnaliser des pratiques de management qui vont dans le sens de la réflexivité mais ce sont des démarches personnelles que l’on ne peut généraliser à l’ensemble des encadrants au sein d’une même entreprise.

Le nouveau directeur de production de Visenplastic tente d’insuffler un nouveau mode de management auprès de l’ensemble des CE et du responsable d’atelier : inciter les encadrants à adopter des attitudes plus apprenantes et plus responsabilisantes  ne plus donner de réponses toutes faites aux problèmes qui se posent aux acteurs de la production, mais tenter de les faire émerger. Attitude que lui-même adopte auprès du responsable d’atelier qui se dit aujourd’hui plus autonome car il apprend à se poser les bonnes questions et à traiter les problèmes en profondeur plus qu’en surface.

Un régleur nous explique qu’il a cherché plusieurs heures la solution à un problème d’approvisionnement de matière. Lorsque le chef d’équipe a pu enfin se libérer pour l’aider, il s’est contenté de lui dire « c’est le clapet ». Le régleur a poussé le clapet mais n’a pas compris pourquoi c’était le clapet. Dans une autre équipe, toujours face à un problème d’approvisionnement de la buse sur une presse, le chef d’équipe a obligé le régleur de service à dresser un bilan de la situation et à formaliser les étapes par lesquelles il était passé pour résoudre à sa manière le problème. Il a été obligé d’argumenter sa manière de penser le problème et de justifier ses démarches. La « bonne » solution est venue d’elle-même comme une évidence…

Le responsable d’atelier de Visenplastic explique que le Directeur de Production l’oblige à réfléchir sur les problèmes qu’il rencontre au quotidien et que, de ce fait, il devient de plus en plus efficace car il ne se fie plus uniquement aux traits de surface des problèmes mais à leurs traits structurels. De fil en aiguille, il devient capable de travailler par analogie, déduction, induction, etc. et surtout de se poser les bonnes questions.

On note que l’exemplarité apparaît comme un levier important dans la mise en œuvre de processus de réflexion sur et dans le travail. Le Responsable d’atelier Plastivis prend exemple sur son Directeur de Production, le chef d’équipe Uplastic sur son Responsable d’Atelier… A contrario, chez Diverplatic, les chefs d’équipe expliquent clairement qu’ils ne disposent pas de modèles au sein de l’entreprise en matière de management et qu’ils font comme ils peuvent.

Les techniciens chez Diverplastic identifient le Directeur Industriel comme une personne ressource. Non pas parce qu’il saurait résoudre l’ensemble des problèmes qui se posent à eux mais parce qu’il les conduit aux solutions sous la forme de « bonnes questions » qui les obligent à réfléchir, à faire des détours, à prendre de la distance avec les problèmes

Le responsable d’atelier Visenplastic apprend à manager l’atelier autrement depuis l’arrivée du nouveau directeur de production. Sa manière d’être et d’agir s’en trouve transformée. C’est le cas également de l’un des chefs d’équipe d’Uplastic avec le nouveau Responsable d’Atelier.

CE : « ce sont mes erreurs qui me font avancer … A chaque baffe, on prend une leçon, le gros travail vient de moi, de mes efforts, de mes remises en question »

T :« On regarde beaucoup autour de soi… On se regarde… et si on prend le temps de tirer des leçons de nos actions, on peut beaucoup apprendre en analysant ses résultats… pour s’améliorer. Le quotidien permet de construire la force de son expérience… Tous les jours on a des jurisprudences »

O :« J’aime avoir les yeux de partout et croiser les points de vue pour me faire mon idée, et aller dans les autres services »

O :« Je fais du contrôle de palettes donc ça me rend plus attentif à ce que je fais quand je fais de la préparation »

CE :« J’ai beaucoup appris de ma première expérience de manager qui a été un fiasco. J’ai beaucoup appris de cet échec et en regardant autour de moi la manière dont fonctionnent les gens »

[ Témoignages circonstanciés complémentaires en annexe (T13) ]

Beaucoup de nos interlocuteurs pensent qu’il est nécessaire de réfléchir le travail pour avancer. Une analyse plus fine permet d’identifier ces personnes comme étant des personnes en projet, ayant un but professionnel en terme d’évolution… ou si elles n’ont pas de projet précis, ayant conscience qu’elles pourraient évoluer dans leur entreprise au regard des parcours des personnes qui les entourent.

On peut relever que ceux qui exécutent des tâches prescrites (les opérateurs en particulier) sont en général moins portés vers ce besoin d’analyser les choses et le font moins spontanément. Cela peut s’expliquer par l’absence d’« effets retour ».