III.Des processus d’autodétermination au développement des compétences

‘« L’avenir n’est pas seulement ce qui peut arriver ou ce qui a le plus de chance de se produire. Il est aussi, dans une proportion qui ne fait que croître, ce que nous aurions voulu qu’il fût »
Gaston Berger (1957) 201 ’ ‘« Investir dans la formation est une chose, s’y investir en est une autre. Se former, c’est acquérir ou développer des connaissances, des savoir-faire, des comportements nécessaires pour apporter des solutions aux problèmes que l’on rencontre. Mais c’est aussi exprimer profondément un certain rapport à la connaissance et, à travers lui, une volonté de restaurer, de différencier, de transformer son identité »
Pierre Caspar (1999) 202

Les processus de désenclavement et de décloisonnement du travail n’expliquent pas à eux seuls les processus de développement des compétences… Il est très vite apparu, à l’occasion de nos entretiens, que les individus jouent un rôle très important dans les processus d’apprentissages.Ainsi, « Une situation ne se comprend pas et ne se décrit pas indépendamment du sujet qui l’affronte, et donc de la manière dont il l’affronte » 203 .

En ce sens, mettre l’accent sur les capacités des organisations à organiser les apprentissages serait oublier la responsabilité de chaque individu pour son propre développement professionnel. Il est vrai, pour reprendre les propos de Pierre Caspar, que « Se former, c’est choisir un moyen parmi d’autres pour atteindre un but, pour réaliser un projet, pour opérer une transformation espérée ou voulue, ou encore pour créer des conditions favorables pour un développement souhaitable » 204 . Sans aucun doute, se former, exprime un désir (« Désir d’une forme meilleure » 205 ) et s’inscrit dans une biographie personnelle et dans un univers relationnel qui donne du sens à ce désir. C’est agir sur une histoire de vie pour reprendre une expression propre à Jean Marie Boutinet (1998) 206 .

Il existe de nombreuses raisons pouvant conduire un individu à apprendre et à s’engager dans des processus de développement de ses compétences, qu’ils relèvent ou non d’activités autoformatrices. La motivation peut être suscitée par le simple désir d’apprendre et de se développer, par l’intérêt du contenu visé par l’apprentissage, par l’attrait exercé de la façon d’effectuer l’apprentissage, par l’utilité de l’apprentissage pour le travail ou la carrière, par les récompenses qu’il est possible de retirer de l’apprentissage, etc. ou par le fait que l’organisation du travail fonctionne comme un milieu facilitant : environnement stimulant, disponibilité des ressources d’apprentissages, possibilité de réinvestir les apprentissages, reconnaissance des efforts accomplis... Roland Foucher, traitant de l’autoformation, parle de « soutien organisationnel des activités d’apprentissages » 207 . Sans soutien organisationnel les activités d’apprentissages et de développement des compétences sont plus difficiles mais c’est l’individu qui apprend et qui décide de le faire, même si parfois, il peut apprendre sans s’en rendre compte. C’est lui qui s’engage et se rend disponible aux activités d’apprentissage et de développement des compétences.

Les chercheurs ayant travaillé avec Philippe Carré et Olivier Charbonnier autour des API constatent que les apprentissages informels, s’ils subissent l’influence de facteurs situationnels, dépendent aussi de « variables dispositionnelles » voire « personnologiques » 208 . Ceci est corrélé par nos propres constats.

Ce sont ainsi la curiosité, l’ouverture d’esprit, la volonté, l’envie d’avancer ou le goût d’apprendre qui sont souvent évoqués par nos interlocuteurs. Cela semble logique dès lors que c’est l’individu qui apprend et qui décide de le faire. Ainsi, il peut apprendre en dehors de tout contexte favorable aux apprentissages, en dehors de toute instrumentation didactique et/ou pédagogique. Il peut même parfois apprendre sans s’en rendre compte. Si l’organisation du travail façonne les situations de travail, le discours des personnes montre que ces situations ne peuvent être comprises qu’au regard de l’« investissement subjectif » 209 qui est le leur dans ces dernières. Piaget parlant de l’affectivité la décrivait comme la source énergétique du développement de l’intelligence. Le faire contient toujours quelque chose de l’être de celui qui en est l’auteur, c’est ce qui le rend si singulier...

Un certain nombre de facteurs individuels entrent en ligne de compte dans la décision et le désir d’apprendre parmi lesquels des facteurs d’autodétermination, de motivation.

Les psychologues parlent de motivation intrinsèque et extrinsèque :

‘« Le concept de motivation intrinsèque s’applique aux comportements que l’individu choisit spontanément car il éprouve du plaisir à les mettre en œuvre ; la motivation extrinsèque s’applique aux comportements sélectionnés parce qu’ils permettent d’arriver à des résultats autres que la satisfaction liée à l’exercice même de l’activité (par exemple pour éviter une punition, être conforme, arriver à un résultat de second niveau, etc. »
Deci et Ryan (1985)’

On différencie couramment les facteurs de motivation dits extrinsèques, qui se situent à l’intérieur de l’individu et les facteurs de motivation dits extrinsèques qui correspondent à des données de contexte et d’environnement. « La satisfaction procurée par les premiers provient du travail lui-même, c’est à dire de son exécution et de ses conditions d’exercice, alors que celle procurée par les seconds est due à l’obtention d’une rétribution extérieure au travail à proprement parler » 210 . Les facteurs extrinsèques doivent être satisfaits pour ne pas démotiver mais une fois satisfaits, ils ne motivent pas pour autant. Inversement les facteurs intrinsèques dès lors qu’ils sont satisfaits sont sources de motivation et ne démotivent pas forcément dans le cas contraire.

Il apparaît au travers de notre recherche que l’on puisse agir sur ces facteurs intrinsèques par le biais de l’organisation du travail, elle-même en partie porteuse des facteurs extrinsèques :

  • Des pratiques de gestion des hommes en termes de mobilité professionnelle ou de développement de la polyvalence peuvent ainsi satisfaire le besoin d’évoluer d’un individu…
  • Les cadences, les quantités à produire, les conditions de travail difficiles (bruit, chaleur,…), le caractère aléatoire des interventions à faire, la répétitivité, la routine participent à la construction d’une image négative de son travail qui peut être en partie palier, par exemple, par l’enrichissement ou l’élargissement des tâches, la possibilité de participer à des réunions, etc.
Exemples de facteurs intrinsèques Rapport Exemples de facteurs extrinsèques
Le projet professionnel, la possibilité d’évoluer au sein de l’entreprise
Mobilité professionnelle, polyvalence
Le sens donné au travail La communication, l’information
La possibilité de participer à l’instruction des décisions concernant l’entreprise
dispositifs participatifs (management, groupe de travail…)
La possibilité de mesurer les résultats de son travail, de se donner des objectifs de résultats
Pratiques d’évaluation et d’entretien, communication
Exemples de facteurs intrinsèques
Rapport Exemples de facteurs extrinsèques
L’encouragement et l’aide au développement professionnel, consolidation de l’image de soi
Pratiques de formation, style de management
Des contenus de travail valorisants, le regard porté sur le travail Enrichissement des tâches, zones d’autonomie et de prises de responsabilité
Une attitude empathique de la part des encadrants, le sentiment d’exister, le climat de travail, l’éthique relationnelle
Styles de management, lieux de discussion et d’échanges

Ces relations entre facteurs extrinsèques et facteurs intrinsèques vont dans le sens de la définition que Raymond Boudon donne du comportement : « Tout comportement résulte d’un effet conjoint de position (règles formelles et informelles, relation avec les autres individus, accès à l’information…) et de dispositions (mentales, cognitives, affectives, sociales… ) » 211 .

Notes
201.

BERGER Gaston in CASPAR Pierre in Conclusion in CARRE Philippe et CASPAR Pierre, op. cit. p47

202.

CASPAR Pierre in Conclusion in CARRE Philippe et CASPAR Pierre, op. cit. p479

203.

ZARIFIAN Philippe (2001), op. cit.

204.

CASPAR Pierre, ibid p478

205.

FABRE Michel in KERLAN Alain in « Philosophie pour l’Education », Paris, ESF 2003, p47

206.

Cf. BOUTINET Jean Marie « L’immaturité de la vie adulte », Paris, PUF 1998

207.

Selon Roland Foucher « Le soutien organisationnel vise non pas à récupérer les pratiques d’autoformation mais à les encourager. » FOUCHER Roland in « L’autoformation reliée au travail », Montréal, Editions Nouvelles, p48

208.

CARRE Philippe et Olivier CHARBONNIER (2003), op. cit. p259

209.

JOBERT Guy in « L’intelligence au travail » in CARRE Philippe et CASPAR Pierre (1999), op. cit p212

210.

MORIN Pierre et DEVALLEE Eric « Le manager à l’écoute du sociologue », Paris, Editions d’Organisation 2004, p131

211.

BOUDON Raymond in MORIN Pierre et DEVALLEE Eric « Le manager à l’écoute du sociologue », Paris, Editions d’Organisation 2004, p86