2.1.1. Facteurs cognitifs

Les pilotes ressentent un besoin d’instrumentation de leur pratique et sont en attente d’outils, de décisions, d’actions qui pourront donner du sens à leur travail et leur permettre d’agir avec compétence.

Ils ont besoin pour cela :

  • De comprendre les événements qui surviennent dans l’atelier et les décisions qui y sont prises.

Les chefs d’équipe ne sont pas toujours disponibles ni disposés à le faire. Le groupe de travail « PAP Pilotes » est une occasion pour eux de poser des questions et de donner du sens aux situations.

Le réinvestissement de la méthode d’analyse « arbre des causes » a permis à deux pilotes de se rendre compte qu’elle est impliquante pour les opérateurs qui sentent qu’on s’intéresse à eux en essayant de résoudre les problèmes qui se posent à eux. Elle est contagieuse dans la mesure où elle contribue à impliquer les opérateurs qui, d’habitude , se montrent peu curieux aux dires des pilotes.

Lors d’un PAP, le technicien d’atelier a été invité pour présenter ce qui avait été fait sur les presses au cours des derniers mois. Les pilotes ont été ravis de pouvoir enfin comprendre un certain nombre de problèmes et de pouvoir « rendre réponse aux opérateurs ».

[ Témoignages circonstanciés en annexe (T19) ]

  • D’ancrer les situations traitées dans leur vécu professionnel  en travaillant en profondeur sur des problèmes concrets et non de les survolant ou simplement en les constatant 

Les situations si elles n’ont pas de sens pour les personnes ne contribuent pas à les impliquer. Elles ont besoin d’avoir la conviction que le travail du groupe va servir à quelque-chose et qu’elles ont une part de responsabilités dans les décisions prises.

Travailler sur des problèmes concrets sans multiplier les cas d’analyse permet d’éviter la dispersion et l’effleurement des problèmes. Cela donne le sentiment aux pilotes de prendre les problèmes à bras le corps et d’avancer. Il y a une frustration certaine chaque fois que le groupe ne prend pas les moyens d’analyser finement les problèmes.

Il est reproché de manière générale à chaque PAP, lorsque la qualité présente des pièces d’être dans une dynamique de constat et non de compréhension des problèmes. Les pilotes considèrent qu’ils connaissent les pièces qu’on leur présente. Ils sont en attente de réponses concernant la cause des dysfonctionnements et d’éléments leur permettant de les anticiper(si c’est un problème sur tel type de colorant, se rendre vigilant par exemple ou donner des consignes pour éviter certaines dérives de la production)

« C’est une réunion banale où on a regardé les rebuts… elle m’a pas apporté grand chose… »

« On ressasse tout le temps les mêmes choses. Donc euh… C’est toujours on regarde les rebuts… Y’a ça… Enfin nous, ça va encore, les rebuts on les connaît. C’est le passage des consignes, donc dans la logique, on les connaît. Donc ça ? Ouais ben ça je sais, j’ai vu, je sais, j’ai vu… Donc ça, on avance pas spécialement dedans »

[ Témoignages circonstanciés complémentaires en annexe (T20) ]

Au moment où nous avons commencé notre recherche, les pilotes nous disaient tous que le PAP était un lieu de constat et non de résolution de problèmes. Ils se sentaient récepteurs et non acteurs.

« On survole trop les choses »

« Il y a pas grand chose qui change d’une réunion à l’autre…. »

« C’est toujours la même chose, on décide de choses et… ça avance pas… Il y a rien qui vient derrière. Là on parle, on parle mais on résout rien dans l’absolu »

« Faudrait vraiment un objectif »

[ Témoignages circonstanciés complémentaires en annexe (T21) ]

Dépasser le constat d’un problème, c’est aussi essayer de comprendre le pourquoi des choses. Dépasser le simple constat (s’il y a eu ce problème sur les socles, c’est parce que les opérateurs n’ont pas lu le dossier donc… ; c’est parce que la dernière moulée a servi de référence donc… ; c’est parce que les pilotes n’ont pas fait leur tournée, donc… ; c’est parce qu’il manquait la pièce témoin donc… ; etc.) est mobilisateur car cela permet aux uns et aux autres de mieux comprendre le pourquoi du comment et tenter d’y répondre.

Laurent : «  On a avancé. On a discuté. On a pris deux problèmes concrets importants et à l’ordre du jour… Dans le fait de s’occuper de deux soucis majeurs, ça permet aux gens autour de la table de s’intéresser à ça. Tandis qu’avec plein de trucs, on se disperse, il n’y a pas de communication concrète et d’idées. Résultat, on avance pas. Là on a pu mettre en place des choses dans l’atelier qui vont peut-être donner des choses… Ca a donné des idées »

[ Témoignages circonstanciés complémentaires en annexe (T22) ]

Lorsque l’animateur du groupe a mis en place une nouvelle méthode de travail type « arbre des causes », cette méthode a donné le sentiment aux pilotes de pouvoir analyser les problèmes non seulement dans leurs effets mais aussi dans leurs causes et donc de définir des plans d’actions. Ils ont eu alors le sentiment de faire un travail utile, de ne pas se réunir pour rien.

Emilie : Y’a eu des changements, c’est clair… C’est vachement mieux car déjà il nous a expliqué le fait de la casse sur les socles et c’est clair qu’on a l’impression d’avancer plus du fait qu’on essaie de trouver les causes… De… D’essayer de trouver des solutions. Là on a plus l’impression d’avancer même s’il y a pas de trucs à faire. Il faudra d’ailleurs booster les gens car c’est peut-être pas leur priorité en ce moment mais…

Géraldine : Enormément changé ! On avait l’impression d’avancer. On a cherché des solutions aux problèmes.

Le fait de survoler les problèmes amène souvent les pilotes à se construire des représentations alternatives aux problèmes, c’est à dire leur conception propre ou leur idée des choses. Ces représentations alternatives des situations de travail nuisent à une homogénéité des pratiques et à l’adhésion de l’ensemble des pilotes autour d’une question donnée.

Concernant la feuille de formation par exemple, il apparaît très nettement que les pilotes n’ont pas tous conscience de son intérêt en matière de gestion des compétences des opérateurs. Ainsi pour l’un cette feuille de formation ne serait qu’un calque d’une réalité existante, pourtant cette même personne semble penser (paradoxalement) que cela va « obliger » les pilotes à revenir vers les personnes formées car le quotidien de l’atelier les dépasse parfois. Un pilote pense que c’est très important d’inciter les pilotes à repasser.

Lorsque les problèmes sont trop vite survolés, on se rend compte au cours des entretiens individuels, que chacun se construit sa propre représentation des problèmes et adopte une conduite en fonction de cette représentation. Face à un problème de bavure, soit l’on retient que l’opérateur a manqué dediscipline en laissant passer les pièces ; soit que c’est le CE ou le régleur qui n’a pas fait son boulot de réglage au démarrage de la presse. Un autre exemple serait celui des feuilles de formation, un pilote pense que cette feuille de suivi pourrait permettre aux pilotes de se construire une meilleure représentation de leur action sur les formations et d’améliorer de ce fait leur manière de former, d’être et d’agir… de se rendre plus vigilant face aux points critiques (ou cruciaux) des dossiers de production ; un autre pilote pense que la feuille de suivi de formation est inutile, qu’ils n’ont pas besoin de ça pour former correctement les personnes (les ANC semblaient pourtant démontrer de nombreux problèmes de formation)

Concernant une action « mieux sensibiliser les opérateurs à la lecture des dossiers de production », il est apparu que chaque pilote avait sa manière de voir les choses en fonction du fait qu’il acceptait ou non de remettre en cause ses manières de faire.

Il existe sans doute plusieurs manières de mieux sensibiliser les pilotes : en s’appliquant à faire sa tournée, en lisant ou relisant les dossiers de production avec les opérateurs, en expliquant ou ré expliquant certains points de détail, en se tenant toujours informé des problèmes rencontrés sur certaines productions, en prenant le temps d’observer les opérateurs ou en les « piégeant » … Un pilote se refuse à lire les dossiers avec les opérateurs… un autre ne conçoit pas de faire autrement… un autre qui ne le faisait pas avec les anciens découvre que c’est primordial…

  • De faire d’un lieu de réunion, un lieu d’action, un lieu de résolution et d’anticipation des problèmes :

Les pilotes reprochaient il y a quelques mois à l’animateur d’être dans l’exposition des problèmes et non dans leur résolution ou leur anticipation. Ils parlaient de « revue de constat »… où l’on survole tout sans agir…

« Il faudrait avoir les deux ou trois produits sensibles où on a des gros soucis et travailler dessus. Comment voulez-vous qu’on en sorte ? Effectivement, les problèmes on les connaît. Les gens si vous les informez pas plus concrètement, ça avancera pas ».

« Je pense que déjà s’occuper des, pourquoi on bloque telles palettes, pourquoi y a ce défaut qui revient sans arrêt, je pense que c’est quelque chose de nécessaire »

« Bien le fait qu’on parle du nouveau produit et que ce soit Sylvain qui s’en soit chargé… Au niveau de l’encollage tout ça… Je pense que Denis fait de bonnes démarches de ce côté là, d’inviter des personnes extérieures pour nous expliquer les choses… C’est vrai le fait qu’on parle des problèmes, c’est bien »

« Il y aurait déjà eu dans les PAP des explications des problèmes rencontrés … Si je sais que c’est le réchauffeur qui déconne, je vais faire plus gaffe et en faisant gaffe, je peux aller voir mon chef et lui dire « attention, il y a le réchauffeur qui déconne, il est plus à température »

[ Témoignages circonstanciés complémentaires en annexe (T23) ]

Le besoin de comprendre les problèmes est très prégnant chez les pilotes pour donner du sens à leur travail d’une part mais aussi pour pouvoir répercuter les informations auprès des opérateurs et mieux les sensibiliser.

[ Témoignages circonstanciés en annexe (T24) ]

Lorsque le groupe ne fonctionne pas uniquement sur la base d’événements passés mais évoque des événements futurs, les pilotes ont le sentiment d’avoir les moyens d’anticiper les problèmes mais aussi leur formation s’il s’agit d’une nouvelle mise en production ou de l’arrivée d’un nouveau moule. Cela leur permet également de « savoir » avant les opérateurs, ce qui leur donne de la crédibilité.

Le fait de pouvoir anticiper les problèmes est selon eux valorisant et impliquant, cela leur donne le sentiment de « servir à quelque-chose ».

« C’est bien parce qu’on peut dire les choses avant que tout soit mis en place et on peut anticiper les problèmes »

« Au moins, on sait avant les opérateurs et on découvre pas les dossiers après ou en même temps qu’eux ! »

[ Témoignages circonstanciés complémentaires en annexe (T25) ]

  • De participer à l’instruction des décisions

Pouvoir participer à l’instruction des décisions est très mobilisateur pour les pilotes. Au début de notre recherche, ces décisions avaient tendance à être majoritairement autocratiques ou expertes. Elles s’inscrivaient dans le fonctionnement régulier du groupe. Elles se définissent comme des décisions unilatérales, soit parce qu’il faut trancher, soit parce que la compétence du décideur (l’animateur) dépasse celle des autres membres.

Au fil des séances et des bilans sur le fonctionnement de ces séances, les décisions se sont transformées en décisions « à la majorité » ou consensuelles. De ce fait les pilotes avaient le sentiment qu’ils « sortaient gagnants » et de voir émerger une véritable coopération entre les membres et une certaine solidarité. L’animateur qui avait au départ un style plutôt autocratique tentait de s’adapter à la contingence, aux caractéristiques et aux exigences des situations traitées.