Il n’existe pas de manière idéale de fonctionner, chaque groupe fonctionne avec ses propres règles.
On pourra cependant retenir du discours des pilotes qu’un PAP Pilotes sera mobilisateur d’énergie si un certain nombre d’éléments sont réunis.
[ Témoignages circonstanciés en annexe (T41) ]
En tant qu’observateurs, il nous est difficile ici de ne pas formuler quelques hypothèses quant à certains phénomènes qui de notre point de vue empêche le groupe de travail de fonctionner comme un lieu d’apprentissages et de développement des compétences. Nous y reviendrons en détail dans la dernière partie de ce travail.
En définitive, même si le groupe de travail est bien un espace de décloisonnement et de désenclavement du travail, il ne permet pas systématiquement le développement des compétences et des apprentissages, de nombreux obstacles managériaux, humains, organisationnels, etc. viennent interférer et on peut se demander si les membres de ce groupe n’apprennent pas plus à résister qu’à s’ouvrir à de nouveaux horizons…
A trop penser « systémique », les situations qualifiantes et l’organisation qualifiante se fourvoient d’elles-mêmes… A trop penser les aspects organisationnels au détriment des aspects humains, affectifs et cognitifs mais aussi psychologiques, le risque est grand de voir se succéder les recettes miracles des nouvelles organisations. Il ne s’agit pas de travailler sur les choses mais bien sur les esprits comme nous le rappelle Claude Monnet… Alors comment inventer une culture qui serait de l’ordre de l’apprenance ? Nous nous proposons de répondre à cette question dans la troisième partie de ce travail.
Au regard de nos observations, on peut se demander si, en définitive, l’éventail des formes que peut prendre le développement des compétences et de l’apprentissage par, dans et sur les situations de travail ne relève pas de la culture ou de la philosophie de l’entreprise. En effet il semble que certains dispositifs peuvent fonctionner tout à la fois comme instrument de développement des compétences des individus et comme instrument de développement de l’organisation.
On peut faire l’hypothèse qu’en fonction de la philosophie de l’entreprise et de la stratégie de management, l’apprentissage par, dans et sur les situations de travail est considéré comme pouvant contribuer, par exemple, à l’amélioration permanente de la production, à la participation des salariés, au développement de l’organisation, à l’orientation sur le client mais aussi à l’information et au contrôle par les hiérarchiques, etc. ou servir de supports d’apprentissages.
Mais la philosophie de l’entreprise peut aussi déconnecter l’acte de travailler de l’acte d’apprendre. Ainsi la rotation sur les postes de travail dans certains lieux ne relèvera que du travail et sera organisée pour flexibiliser la production et non pour développer la polyvalence. Lorsqu’elle relèvera aussi de l’acte d’apprendre, l’intervention « pédagogique » consistera, par exemple, à alterner des situations ciblées en termes de contenus, processus et conditions de travail ne serait-ce que dans la perspective de faire évoluer une personne dans l’organisation.
Nous avons vu au cours de notre recherche que les situations de production ne sont pas organisées dans une visée didactique, elles sont plutôt non didactiques 245 , et pourtant des apprentissages naissent, se construisent, de-ci, de-là, bon gré, mal gré…
Trois éléments participant à ces apprentissages ont été particulièrement récurrents :
Ces trois éléments conduisent souvent les individus à distinguer deux temps distincts de formation :
Le premier se réalisant la plupart du temps « au pied de la machine », le second dès qu’on la quitte. Ce constat montre que la formation instituée ne constitue qu’une part des opportunités de développement qui s’offrent aux individus. D’ailleurs tous les individus ne vont pas en formation et parmi ceux-ci certains arrivent à prévenir la sclérose ou l’obsolescence de leurs compétences. Ainsi il existe des experts qui n’ont pas eu ou n’ont eu que très peu d’opportunités de formation.
Dans tous les cas, on constate deux choses :
Ainsi l’autoformation, voire la socioformation, s’insinuent partout dans les creux de l’organisation, dans ses espaces interstitiels permettant à un moment de se détacher de l’activité de production pour entrer dans des activités d’apprentissages. Elles sont dans le face à face avec l’aléa du travail, dans l’observation de celui qui travaille, dans les échanges avec les collègues, dans les bilans annuels d’évaluation ou d’appréciation, dans l’invention des mille et unes ficelles du métier, dans les pannes, dans la formalisation des processus de travail, dans les groupes de travail ou les groupes de projets. Elles peuvent être partout : au pied du poste de travail ou plus loin… à la machine à café, en salle de réunion, dans le bureau du hiérarchique ou des collègues… Au cœur de l’action ou à sa périphérie, par essais et erreurs, autoréflexion, imitation ou de façon incidente…
L’organisation du travail dans sa manière de coordonner et de diviser le travail rend donc possible l’existence de moments et de temps d’apprentissages, même si ceux-ci restent largement informels, non institués. Des occasions d’apprentissages existent, des pratiques d’apprentissages également. Comment optimiser l’efficience de ces pratiques ? Comment faire en sorte de penser autrement la relation entre organisation et apprentissages ? Entre activité professionnelle et développement des compétences ? Entre travail et formation ? Si ce n’est en tentant de valoriser les pratiques informelles non prévues dans ces interactions…
Peut-on envisager le fait qu’une intervention pédagogique ciblée aille de pair avec des mesures d’organisation du travail ? N’est-ce pas utopique que de vouloir croire en la possibilité de construire des organisations qualifiantes ? Cela ne relève-t-il pas d’un mythe ou d’une construction idéaliste ?
Le concept d’organisation qualifiante implique de faire évoluer les structures organisationnelles, les procédures de travail et le style de management des hommes pour favoriser l’émergence et le développement continu d’un ensemble cohérent de processus d’apprentissages. Est-il vraiment possible d’inventer des organisations et des procédures de travail permettant de concilier mais surtout de rechercher des synergies entre efficacité opérationnelle, performances économiques et processus d’apprentissages des individus, des équipes, des unités organisationnelles ? Est-ce une utopie que de vouloir construire un modèle d’organisation qui puisse concilier tout cela et chemin faisant, entrer dans l’apprenance…
Nous allons aborder cette question dans la troisième partie de ce travail.
Guy Brousseau distingue trois types de situation : les situations didactiques, non didactiques et a-didactiques. Il définit les situations didactiques comme étant celles qui sont explicitement conçues pour apprendre et qui sont organisées dans ce but ; les situations non didactiques comme des situations de la vie professionnelle ou quotidienne dans lesquelles les sujets sont confrontés à un problème à résoudre alors même que ces situations ne sont pas dédiées à l’apprentissage, ne sont pas organisées pour cela ; les situations a-didactiques quant à elles, font le lien entre les deux précédentes puisqu’elles représentent, à l’intérieur d’un dispositif d’enseignement, l’image des situations non didactiques avec les problèmes qui y sont inclus, et qu’elles vont permettre aux sujets apprenants de produire de façon naturelle les connaissances nécessaires pour traiter ces problèmes. BROUSSEAU Guy in RAISKY Claude in « Complexité et didactique » in Education Permanente n°139, pp39-63