3.1. Cinquième mythe de l’organisation qualifiante : celui d’une organisation du travail idéale

L’organisation qualifiante serait une organisation où chacun pourrait aspirer à développer ses compétences et à se développer. Les nouvelles organisations fonctionneraient telles des organisations qualifiantes. Pourtant, on est en droit de se demander s’il n’existe pas une véritable disparité au sein des entreprises mais également entre les entreprises quant aux occasions qui peuvent être données aux individus de développer leurs compétences et de se développer.

Prenons deux exemples pour illustrer cette interrogation.

Le premier exemple porte sur les travaux de Catherine Peyrard 282 . Cette dernière montre que dans le cadre de l’apprentissage d’opérations de conduite de process, ce dernier est assimilable à des technologies intellectuelles. L’auteure postule que c’est par la complexité des technologies que des processus cognitifs sont inévitablement mis en œuvre et constituent de véritables dispositifs de formation sur la situation de travail. Faut-il alors penser que seules les organisations disposant de telles technologies favorisent l’émergence de processus cognitifs ? Les industries de main d’œuvre, par exemple, seraient exclues. Si l’on se réfère à nos entreprises, la complexité des outils de production varie d’une entreprise à l’autre, et il serait donc mieux de travailler chez Diverplastic que chez Visenplastic… puisque la technologie y est plus complexe et plus moderne… Pourtant nous avons montré que, paradoxalement, c’est chez Visenplastic que les opérateurs peuvent penser un jour devenir régleurs, les machines y sont accessibles et on peut apprendre à les « apprivoiser » sur le tas. Chez Diverplastic, il n’est pas envisageable que les opérateurs accèdent à l’outil de production sans formation préalable et « officielle » (c’est à dire une qualification de régleur).

Notre deuxième exemple est issu du travail de Michèle Lacoste 283 . De la même manière, cette dernière montre (dans le secteur tertiaire) comment l’apprentissage s’effectue à partir d’actions requises dans le déroulement du travail, avec un ensemble d’interactions entre agents favorisant le développement de nouvelles compétences, notamment au travers des aléas du travail. Mais tous les milieux de travail autorisent-ils des interactions ? et de quel ordre sont-elles car toutes les interactions (quelle que soit leur nature) favorisent-t-elles des apprentissages?  Autrement dit toutes les interactions sont-elles par nature apprenantes ou porteuses d’effets d’apprentissages ? Peut-on interagir dans tous les milieux de travail et nous pensons là, notamment aux opérateurs de production sur presses à injecter qui ne peuvent quitter leur poste de travail… au risque de détériorer les pièces qui tomberaient à côté des tapis de réception parce que personne ne serait là pour les recueillir.

Ces deux exemples, comme ceux que nous avons donnés auparavant au cours de la deuxième partie de ce travail, mettent l’accent sur le rôle du contexte organisationnel et des différents acteurs de ce contexte dans l’optimisation des aspects formateurs des situations de travail. Ils permettent de montrer qu’il existe des pratiques de travail potentiellement porteuses d’apprentissages qui les permettent (voire les autorisent) et les facilitent, mais peut-on pour autant parler d’organisations qualifiantes ? D’autre part ces dispositifs mettent en exergue l’importance du rôle des acteurs d’interface dans les situations de production….

Par ailleurs l’organisation qualifiante relève sans doute plus de parenthèses dans la vie des entreprises et des acteurs que d’une organisation qui se voudrait pérenne. Les expériences tentées ici ou là montrent qu’il n’y a pas de politique au sens fort du terme. Mais peut-on tout à la fois satisfaire aux enjeux de la formation des acteurs et à ceux de la production ?

Notes
282.

PEYRARD Catherine in « Technologies de conduite et technologies intelectuelles : la production de connaissances dans les activités de travail » in in Education permanente n°112, pp31-38

283.

LACOSTE Michèle in « Changement dans l’entreprise et collectif informels d’apprentissage » in Education permanente n°112, pp87-94