3.2. Sixième mythe de l’organisation qualifiante : celui de la communauté d’appartenance

Idée que l’on appartient tous à la même communauté dont on défend les valeurs, les croyances, les comportements, etc.

Idée que l’on est tous solidaires sans tenir compte qu’il n’existe aucun lien de parenté entre les personnes ou de filiation entre l’employeur et l’employé. La notion de contrat de travail inclut précisément un lien de subordination

Les contours des métiers sont devenus flous et élastiques, ils s’assortissent de bien d’autres savoirs que les savoirs de métier et font éclater la notion de collectif de travail et donc de communauté d’appartenance… Nous avons eu le sentiment à l’occasion de notre recherche d’avoir à faire avec des collectifs de professionnels et non avec un collectif professionnel. La nuance est importante. Nous avons été surprise par le fait que les individus n’identifient leur entreprise que comme un moyen de subsistance. La plupart d’entre eux n’envisagent pas de rester dans l’entreprise pour laquelle ils travaillent et lorsqu’ils participent au collectif de travail (cf. les groupes de travail ou les groupes de projet), c’est souvent pour mieux servir leurs intérêts individuels plutôt que l’intérêt collectif. Ces impressions sont confirmées par les travaux de Renaud Sainsaulieu.

Dans les années 70, Renaud Sainsaulieu 284 mit en avant l’importance des logiques collectives dans la construction des identités professionnelles. Quelques années plus tard, et plus précisément au milieu des années 90, avec la crise économique, les difficultés d’embauche et les menaces du chômage, de nouveaux phénomènes apparaissent et les travaux datant de la période de croissance économique autour des notions de culture et d’identités professionnelles semblent dépassées. Deux axes d’évolutions identitaires semblent se dégager des travaux de recherche conduits par Sainsaulieu, Francfort, Osty et Uhalde en 1995 285  : celui d’une intégration par une incorporation croissante des finalités de l’entreprise ; celui de la différenciation par des projets de plus en plus indépendants. Ces auteurs montrent donc qu’une large partie de la population au travail ne recherche pas à s’identifier à la culture de leur entreprise, ni à ses objectifs ; ni à défendre les intérêts du groupe-communauté et par-là, on assiste à moins d’actions solidaires ou collectives où les valeurs d’entraide étaient prédominantes ; on assiste aussi de plus en plus à une centration des individus sur leurs projets personnels qui ne sont plus seulement promotionnels mais évoquent toutes les formes de mobilités possibles (professionnelle, géographique, etc.) : on ne cherche plus à faire carrière dans une entreprise parce que l’on sait que ce n’est plus guère possible, on se projette à l’extérieur de cette dernière, et dans ces conditions, difficile d’incorporer et de faire siennes les finalités de l’entreprise pour laquelle on travaille lorsque l’individu ne s’y projette pas ou plus.

On peut ajouter que dans ce cadre, chaque acteur va se construire sa propre représentation de la notion de coopération et donc y investir ce qu’il aura décidé d’y investir. Ces jeux d’acteurs apparaissent très importants pour ce mythe de l’entreprise communautaire.

Jean Pierre Le Goff s’interroge donc sans doute à juste titre lorsqu’il se demande pourquoi faudrait-il à tout prix que les salariés adhèrent à des choix et à des orientations sur lesquels ils n’ont pas de prise : « L’instauration de rapports dits de convivialité, l’attention accordée à la subjectivité individuelle en termes de psychosociologie et d’éthique mêlées, étaient quant à elles censées changer la nature des rapports hiérarchiques et professionnels dans le travail. C’est comme si on avait voulu faire en sorte que le lien entre dirigeants et dirigés ne soit plus contractuel, que le pouvoir et la hiérarchie se fassent invisibles. Au sein de l’entreprise moderne, nouvelle communauté d’appartenance, les rapports devenaient en quelque sorte fusionnels. […] Chacun se devait d’adhérer pareillement aux valeurs et aux objectifs émanant naturellement de cette communauté » 286 . En effet, pourquoi faudrait-il à tout prix laisser croire ou faire comme si dans l’entreprise tout le monde était ou devait être pareillement concerné et responsable ? Il existe des différence de préoccupations, d’spirations et d’intérêts dans toute communauté, mais aussi des différences de responsabilités au sein de l’entreprise en fonction des fonctions et des rôles. « On ne saurait vouloir effacer l’écart existant entre les dirigeants et les dirigés, faire comme si tout le monde, quelque soit son statut, son grade, son activité était pareillement concerné » 287 .

Notes
284.

SAINSAULIEU Renaud in PETIT François et DUBOIS Michel, op. cit. p133

285.

SAINSAULIEU Renaud & Alii in PETIT François & DUBOIS Michel in «  Introduction à la psychosociologie des organisations », p 137

286.

LE GOFF Jean Pierre in « Les illusions du management », Paris, La découverte 2000, p22

287.

Ibid p24