4.1.2. Une organisation sans pédagogue

Il suffirait d’introduire dans l’entreprise les méthodes de l’intervention sociopédagogique 288 pour que les individus apprennent…

Oublie-t-on que l’introduction des méthodes de l’intervention socio-pédagogique suppose la présence, dans les entreprises, d’acteurs dont la professionnalité est spécifique dans la mesure où elle leur assure la maîtrise d’une double compétence, professionnelle et pédagogique ? Ce sont des professionnels capables de jouer un rôle d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques formatives et des logiques productives. Les entreprises se dotent-elles de telles compétences ?

Prenons l’exemple des situations tutorales. On sait que le rôle du tuteur est de « reconcevoir » les situations de travail de manière à les rendre « formatrices », et d’accompagner ainsi le tutoré dans l’acquisition d’un certain nombre de savoir-faire et de compétences. Or les tuteurs sont très souvent choisis sur la base de la durée de leur expérience professionnelle ou de leur ancienneté dans l’entreprise qui est souvent assimilée à l’expertise professionnelle. De ce fait on peut alors trouver de nombreux tuteurs n’ayant ni les qualités pédagogiques requises, ni la capacité de distanciation des situations de travail pour les rendre formatrices, encore moins la formation tutorale… La transmission de l’expérience professionnelle ne va pas de soi, ni sur le plan pédagogique, ni sur le plan organisationnel. A contrario le tuteur peut avoir les compétences nécessaires et suffisantes mais ne pas se voir dégagé de sa charge habituelle de travail et avoir à assurer à la fois la production et la formation sur son temps de charge.

L’utilisation des situations de travail comme terrain d’ancrage de dispositifs ou de situations de formation ne va pas de soi. Ces dispositifs nécessitent de s’interroger sur les processus d’acquisition de l’expérience professionnelle.

L’acquisition de l’expérience professionnelle ne va pas de soi.

Elle nécessite de vivre des situations nouvelles et/ou critiques qui seront supports et objets d’apprentissages, une forte capacité à se déprendre du travail mais aussi des occasions de le faire ! Cette capacité à réfléchir le travail est déterminante surtout lorsque l’expérience a été acquise sur le tas et se caractérise par des savoir-faire et des compétences construits de manière plus intuitive et empirique qu’explicite. Ceci ne veut pas dire que les savoirs acquis par l’expérience soient moins légitimes ou moins indispensables à la bonne marche des systèmes de production que les savoirs dits plus académiques, mais leur formalisation reste nécessaire pour pouvoir les transmettre. Ils ont à être socialisés.

Asseoir son expérience, la formaliser, l’expliciter, la socialiser ne va pas de soi, encore moins la pédagogiser et de la rendre transmissible.

Si l’utilisation des situations de travail comme terrain d’ancrage des dispositifs et des situations de formation ne va pas de soi pour les acteurs qui ont à les vivre (les formés, les se formant), c’est aussi le cas pour ceux qui ont à les conduire ou plutôt à les faire exister : le système hiérarchique. Les membres de l’encadrement ne sont pas en effet toujours favorables ou motivés à accompagner les apprentissages professionnels. D’une part parce que cela peut les conduire à corriger les modes d’organisation du travail en vue de favoriser des occasions d’apprentissages ou de changer leur manière de travailler et d’animer l’équipe, d’autre part parce que leur histoire personnelle et sociale a imprégné leur rapport aux savoirs et donc leur envie, leur désir de mobiliser leurs collaborateurs autour du développement de leurs compétences.

L’organisation qualifiante ne serait-elle qu’une manière de revisiter des choses que l’on connaît déjà, une manière de parler de cette nette tendance des organisations à penser des dispositifs de formation au plus près des situations de travail ? Ou de se saisir de ce qui caractérise les nouvelles organisations ?

Notes
288.

La méthode sociopédagogique poursuit la finalité d’ « agir sur la relation entre l’éducation et la division du travail de manière à accroître les potentialités éducatives des structures dans lesquelles sont insérées les individus. Cette action vise, pour la collectivité, à libérer la connaissance comme force productive agissante, et pour l’individu à lui donner les moyens de comprendre, dans toutes ses dimensions, la situation qu’il vit, en la transformant. Le caractère global des situations concrètes fera nécessairement de l’action éducative une action s’adressant à l’homme total, non seulement producteur ou gestionnaire, mais aussi individu, personne et acteur social » MEIGNANT Alain in « Manager la formation », p19