Chapitre 2 :
Du développement des compétences à la construction de l’expérience

« Quiconque a été engagé dans une formation sait bien qu’elle touche, par un certain côté, à ce que nous appelons notre vie, le sens de notre vie. Un changement ne peut jamais s’effectuer san sreprise interne, personnelle. Le refus du changement lui-même, le droit de refuser le changement, pour être pleinement voulus, demande cette reprise ».
Alain Kerlan (2003) 304

Comment sortir de l’impasse qui semble se présenter à nous lorsque nous parlons d’organisation qualifiante ? Comment quitter le terrain du mythe et de l’idéologie au profit de croyances et de valeurs nouvelles ?

Nous pensons que la prise en compte de l’expérience est une manière de repenser et transformer la pratique de l’organisation qualifiante. Elle suppose alors un passage, un renversement de paradigme, d’une logique de formation à une logique de professionnalisation.

Et c’est bien, dans la continuité de notre travail de terrain, l’ingénierie de professionnalisation qui nous préoccupe. En effet, nous avions dès le début de notre recherche pris radicalement le parti d’étudier les processus de développement des compétences participant au développement qualitatif des compétences. En choisissant cette option, nous allons voir que nous nous sommes intéressés bien plus aux processus de professionnalisation qu’à ceux de formation.

Sans anticiper sur le développement qui va suivre, on peut dire que l’ingénierie de professionnalisation se situe dans une logique de perfectionnement des compétences professionnelles et de développement professionnel ; l’ingénierie de formation, dans une logique d’insertion et d’adaptation professionnelle. Autrement dit, ce qui nous intéresse consiste à mieux appréhender l’impact de l’organisation du travail sur les processus d’acquisition d’expérience 305 . Le présupposé que nous développons ici est alors le suivant : « une logique de perfectionnement des compétences professionnelles et de développement professionnel relève d’une dynamique d’acquisition d’expérience ». Cette précision est importante car elle permet de souligner le fait qu’on puisse développer des compétences sans pour autant se professionnaliser.

Il existe aujourd’hui peu de travaux permettant de mettre en lumière le rôle de l’environnement sur les conditions d’apprentissage en situation de travail. Si on sait qu’il joue un rôle clé dans les processus de développement des compétences, et nous l’avons montré, on s’est peu penché sur la manière dont il peut étayer ces processus et permettre à des situations naturelles de travail non didactiques de devenir des situations didactiques ou plus modestement des zones de développement potentiel telles que, en s’inspirant de Vygotsky, les qualifient Yves Clot, des moments d’ouverture et de transit dans le cours d’activité des opérateurs  (1995). Ces derniers pouvant prendre la forme des situations qualifiantes que nous avons décrites en fin de première partie.

Il nous faut désormais envisager quelques pistes de travail qui permettraient à des situations non didactiques de devenir didactiques et à l’expérience d’advenir.

La première piste de travail consistera à envisager le fait qu’on ne puisse développer et mobiliser des compétences sans acquérir de l’expérience. Nous tenterons ici de décrire la notion d’expérience.

La seconde consistera à envisager un processus de professionnalisation comme un processus d’acquisition d’expérience et montrera que tout processus de développement des compétences ne relève pas forcément d’un processus de professionnalisation. La compétence peut être un savoir ou un savoir-faire sans jamais devenir un savoir comprendre, un savoir agir. Nous aborderons ici la question de la professionnalisation.

La troisième piste consistera à explorer les paradoxes que soulèvent la prise en compte de l’expérience dans les processus de professionnalisation.

Chemin faisant il sera alors peut-être possible de construire des organisations qualifiantes, d’entrer dans l’apprenance...

Notes
304.

KERLAN Alain (2003), op. Cit p20

305.

On sait depuis longtemps que l’expérience est productrice de savoirs. La nouveauté du questionnement est dans la compréhension des conditions de production de cette connaissance, dans les processus permettant sa conscientisation et sa formalisation par l’individu à des fins de reconnaissance et de validation sociale. Beaucoup s’intéressent désormais à la question : les économistes et économistes du travail (Foray, Vicens, Grasser…), les sociologues (Barbier, Dubet, Rose…), les psychologues (Aubret, Clot, Pastré…), les ergonomes (Falzon, Teiger…) ou encore les formateurs (Beillerot, Gelpi, Pain…).